A quoi pensent les protagonistes de la célèbre photo diffusée par la Maison Blanche ? Comment Barack Obama a-t-il pris sa décision ? Peter Bergen, journaliste spécialiste de la sécurité nationale pour CNN, le raconte dans “Chasse à l’homme. Du 11 septembre à Abbottabad, l’incroyable traque de Ben Laden” (Robert Laffont) dont Le Monde daté du 5 septembre publie des extraits.
[Survolez la photographie ci-dessus pour faire apparaître les pictos rouges pour les opposants au raid, verts pour ceux qui soutenaient l'idée. Cliquez dessus pour en savoir plus]
Aucun consensus ne se dégage dans l’entourage du président démocrate jusqu’aux derniers jours. Peter Bergen raconte en détails une réunion, le 28 avril, alors que de nouvelles informations renforcent le doute quant à la présence de Ben Laden dans le complexe d’Abbottabad. Trois positions se dégagent alors : ceux qui sont pour, ceux qui sont contre et ceux qui privilégient une frappe de drone.
Parmi les opposants au raid figure Joe Biden, le vice-président, pour qui l’incertitude est trop grande pour prendre le risque de perdre l’allié pakistanais. Il tranche, rapporte le journaliste :
Mon conseil, le voici : n’y allez pas.
Un autre personnage central s’oppose au raid : Robert Gates, le secrétaire à la Défense. Lui plaide pour “une option de type frappe chirurgicale” menée par un drone. Il est rejoint par le général Cartwright, le chef d’Etat-major adjoint des armées, et par le directeur national du contre-terrorisme, Mike Leiter.
Une écrasante majorité des conseillers soutiennent un raid des Navy SEALs. Notamment Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat, qui à l’issue d’un exposé technique et dépassionné lance :
Le résultat est très imprévisible, mais je dirais : Allez-y. Ce raid, lancez-le.
Ou encore un autre poids lourd de la lutte contre le terrorisme, le directeur de la CIA, Leon Panetta, qui estime que le fait de détenir “le meilleur faisceau de preuves depuis Tora Bora [les] met dans l’obligation d’agir”. Il est, entre autres, rejoint par John Brennan, assistant du président pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme, et le directeur du Renseignement national, Jim Clapper. Lucide, mais déterminé :
C’est le choix qui présente le plus de risques, mais à mon avis, le plus important, c’est que nous disposons d’yeux, d’oreilles et de cerveaux sur le terrain.
Le jour même, Barack Obama refuse de trancher. Il convoque à nouveau ses conseillers le lendemain, le 29 avril à 8h20, pour annoncer sa décision :
J’ai réfléchi : on y va. Et la seule chose qui nous en empêcherait, ce serait que Bill McRaven [le général à la tête du Joint Special Operation Command, NDLR] et ses gars considèrent que la météo ou les conditions au sol accroissent les risques pour nos forces.
Dans un avenir proche, les Etats-Unis continueront à adopter une approche active (…) en frappant directement les groupes et les individus les plus dangereux quand c’est nécessaire.
L’annonce ne laisse guère de place à l’interprétation. Elle est inscrite dans le marbre de la stratégie de défense américaine 2012 rendue publique le 5 janvier. “Frapper directement les groupes et les individus les plus dangereux”. Comme auraient pu le faire les militaires américains, jeudi dernier, en éliminant le chef des talibans en Afghanistan, selon plusieurs témoignages recueillis par Reuters.
L’énoncé officialise plus qu’il n’inaugure la “guerre contre la terreur” façon Obama : pratiquer les assassinats ciblés conduits par les forces spéciales et la CIA, depuis le territoire américain, en utilisant les drones. Le même document poursuit :
Alors que les forces américaines se retirent d’Afghanistan, notre effort mondial en matière de contre-terrorisme va être plus largement réparti et se caractérisera par la combinaison d’actions directes et le soutien des forces de sécurité. Faisant nôtres les leçons apprises la décennie précédente, nous continuerons à construire et soutenir des capacités sur mesure adaptées au contre-terrorisme et à la guerre irrégulière.
Exit les “opérations prolongées de stabilisation à grande échelle” des forces américaines. Place est faite au “sur mesure” et aux frappes ciblées. Selon The Bureau of Investigative Journalism qui suit de très près la guerre des drones, 128 frappes ont été conduites dans les zones tribales pakistanaises en 2010, deux fois plus qu’en 2009. Contre cinq en 2007.
“L’utilisation des drones est multipliée à partir de 2004. Les Etats-Unis sont les premiers à avoir recours à ces avions sans pilote, suivis par les Israéliens” rappelle le général Michel Asencio, chercheur à la Fondation pour la recherche scientifique (FRS). Aujourd’hui l’armée américaine possède une flotte de quelques milliers de drones, majoritairement dédiés à l’observation. 775 sont dotés de capacités offensives, notamment les Predators et Reaper.
La CIA quant à elle ne possèderait qu’une trentaine de drones, principalement pour la surveillance comme le RQ 170 – dont un appareil a été détourné par les autorités iraniennes le 4 décembre.
Cette nouvelle guerre contre la terreur floute les lignes entre civils et militaires. En témoigne le chassé-croisé de juin dernier à la tête des principales institutions de sécurité et défense. Léon Panetta, directeur de la CIA jusqu’en juin 2011, a été nommé secrétaire à la Défense. “Une façon pour Obama de placer à la tête de l’armée une figure politique démocrate de confiance” interprète Nicole Vilboux, spécialiste de la doctrine militaire des Etats-Unis et chercheur associée à la FRS. “L’US Army est généralement méfiante envers les présidents démocrates, même si Obama bénéficie de plus de crédit que Bill Clinton.”
Lors de son départ de la CIA, Panetta a été remplacé par un militaire de haut-rang, le général Petraeus, ancien du commandement dédié au Moyen Orient, le CENTCOM, et de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) où il avait succédé à Stanley McChrystal. Un homme épinglé pour avoir critiqué trop vertement la stratégie américaine en Afghanistan et le président Obama.
Ces nominations illustrent la stratégie choisie par l’administration Obama, incarnée dans l’utilisation des drones dans les zones tribales pakistanaises, voire au Yémen et en Somalie. “Selon toute vraisemblance, les opérateurs des drones, les techniciens, sont des militaires” avance Nicole Vilboux. Le programme est tenu secret, peu d’informations filtrent sur les assassinats ciblés. Et pour cause : les opérations de la CIA sont couvertes du sceau de la clandestinité
Officiellement, le programme n’existe pas. La Maison Blanche et la CIA refusent de l’évoquer ou de confirmer l’existence des frappes, rapporte le Washington Post qui précise l’implication combinée et alternative de l’agence de renseignement et des forces spéciales sous le commandement du Joint Special Operations Command (JSOC). Anwar Al-Awlaki, membre d’Al-Qaida pour la péninsule arabique (AQPA), a été tué le 30 septembre dernier au Yémen par une frappe de drones commandés par la CIA. Deux semaines plus tard, c’est une frappe conduite par le JSOC qui tua son fils de 16 ans toujours au Yémen.
“L’entourage de Barack Obama est très favorable à l’utilisation des drones, surtout son conseiller au contre-terrorisme, John Brennan et la secrétaire d’Etat Hillary Clinton” détaille Nicole Vilboux. S’agissant d’opérations clandestines de la CIA, il revient au président de donner le feu vert final, sans avoir à se justifier auprès de l’opinion publique. D’autant moins que cette nouvelle guerre contre le terrorisme vise à éviter les funestes décomptes de militaires américains tués. “L’utilisation des drones repose sur une nouvelle économie de la guerre, qui s’est développée après la guerre d’Algérie et du Vietnam. La mort de soldats devient insupportables aux sociétés occidentales. Le drone est l’outil idéal : ils sont téléguidés et n’exposent donc pas les soldats” rappelle Gérard Chaliand, spécialiste de l’Afghanistan.
En 2025, un tiers de la flotte américaine devrait être composé de drones de combats, soit plus de 900 appareils. “Les pilotes sont remplacés par les machines jusqu’à un certain point, analyse Michel Asencio. Ils ne sont pas entièrement indépendants, un être humain intervient en le programmant avant le vol ou en le pilotant à distance.” De récentes études ont montré que les pilotes de drones souffraient des mêmes symptômes post-traumatiques que les pilotes de chasse :
Imaginez un agent des forces spéciales qui dépose ses enfants à l’école à 8h, va travailler, élimine des insurgés à plus de 8000 km et rentre chez lui le soir à 18h !
La guerre des drones fait école. En Libye, le convoi de Kadhafi prenant la fuite a été stoppé par un tir de drone. Les nouveaux Predators, baptisés Avenger, seront propulsés par des réacteurs leur permettant d’atteindre plus de 600 km/h contre 100 à 130 km/h pour les drones à hélices utilisés aujourd’hui. Peu de chances que Barack Obama abandonne sa “guerre contre la terreur”, censée rompre avec les dérives de son prédécesseur Georges W. Bush.
Les assassinats ciblés de membres d’Al-Qaïda, certains de nationalité américaine, sont illégaux au regard du droit international, rappelle Nicole Vilboux. “Washington prétend agir en situation en situation de légitime défense [au sens de l'article 51 de la Charte des Nations-Unis, NDLR].” Les intrusions sur le territoire pakistanais ont été dénoncées par les autorités d’Islamabad comme autant de violation de sa souveraineté territoriale. Au moins 53 victimes non-combattantes ont été recensées au Pakistan en 2011.
Photos par Isaf Media (CC-by) via Flickr
]]>Le 8 mai 2002 et dans les semaines suivantes, les services de sécurité du consulat américain de Karachi ont suivi et analysé l’attentat perpétré contre le bus de la Direction des constructions navales (DCN – désormais appelée DCNS). Au titre de leur mission de renseignement sur les actes terroristes perpétrés au Pakistan, en particulier lorsqu’ils visent des cibles des États-Unis ou de leurs alliés.
Nous avons obtenu auprès de Washington les notes qu’ils ont rédigées en relation avec l’attaque terroriste perpétrée ce jour-là contre le bus des employés français de la DCN provoquant la mort de 15 personnes et en blessant 23 autres. Ces notes ont toutes été transmises par télégramme diplomatique au siège du département d’État à Washington.
Nous les avons reçues après avoir formulé une requête auprès de l’administration américaine au titre du Freedom of information act (FOIA), une loi permettant à n’importe quel citoyen d’obtenir, personnellement, la dé-classification de documents étatiques.
La première d’entre elles est datée du 8 mai 2002 à 12h12, soit quelques heures après l’explosion qui a ébranlé Karachi ce matin-là, en plein centre-ville, devant l’hôtel Sheraton où étaient logés des salariés de la DCN envoyés au Pakistan pour assembler des sous-marins que la France avait vendu à ce pays. Ils s’apprêtaient à rejoindre leur lieu de travail dans un bus de l’armée pakistanaise.
Ce document classé confidentiel (copie intégrale ci-dessous) est rédigé par le consul général américain, John Bauman, à l’attention du Secrétaire d’État, avec demande de transmission immédiate. Le responsable diplomatique y affirme notamment :
L’attaque suicide à la voiture piégée du 8 mai 2002 était sans précédent pour trois raisons. Premièrement, la force de l’explosion était plusieurs fois supérieure à la magnitude provoquée d’ordinaire par les engins utilisés par les extrémistes locaux. Deuxièmement, c’est le premier attentat suicide enregistré à Karachi (…) Troisièmement, cette attaque visait un contractant des forces armées pakistanaises ; en l’espèce des ressortissants français travaillant sur un projet de sous-marin.
Les services de sécurité du consulat américain semblent ainsi disposer d’outils de mesure pour calculer l’impact et le souffle des explosions. Selon le consul général, au regard de ces relevés, il faut remonter à 1987 pour observer un attentat d’une telle puissance survenu à Karachi (point numéro 3 de sa note).
Mais c’est la nature de la cible qui paraît surtout éveiller la curiosité du fonctionnaire américain. Jamais, en règle générale, les groupuscules islamistes ne s’attaquent à l’armée. Pour d’évidentes raisons : la plupart du temps ces groupuscules ne sont rien d’autres que des supplétifs des services pakistanais, historiquement chargés de répandre le jihad au Cachemire et en Afghanistan. Selon cette note :
Le seul attentat répertorié dans le passé contre les forces armées pakistanaises date de 1988, lorsqu’un appareil AC-130 transportant le général Zia Ul Haq [alors chef d’État du Pakistan, NDLR] s’est crashé tuant tous les passagers dont l’ambassadeur Arnie Raphel. Les investigations sur le crash n’ont pas été concluantes ; [la suite de ce paragraphe n’a pas reçu un avis favorable de déclassification, cependant, selon des chercheurs pakistanais des chefs des services secrets seraient impliqués dans cet attentat, NDLR]
Dès le premier jour, l’acte terroriste qui vise les salariés de la DCN est donc perçu par les fonctionnaires américains comme un événement criminel singulier, sans rapport avec le climat déjà violent de l’époque – nous sommes huit mois après le 11 septembre 2011. Le 17 mai 2002, le corps sans vie de Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal, est retrouvé dans les faubourgs de Karachi. Et le 13 juin 2002, quatre semaines environ après leur première note sur l’attentat contre le bus de la DCN, les fonctionnaires du consulat câblent à leur hiérarchie un ensemble de données factuelles sur tous les attentats perpétrés à Karachi depuis le début de l’année 2002 (copie intégrale ci-dessous).
On y découvre que de multiples attentats se sont produits depuis janvier 2002 dans cette ville portuaire, authentique base arrière pour quantité de moudjahidines. Mais, selon un indice de létalité que définissent les Américains, aucun de ces multiples attentats ne peut être rapproché de celui qui a frappé la DCN. À partir des données du département d’État mentionnées dans ce document, nous avons établi le graphique suivant :
Mais ces données évolueront dramatiquement quelques jours plus tard. Le 14 juin un attentat à la voiture piégé prend pour cible l’immeuble de ce même consulat américain de Karachi ; tuant 13 personnes et en blessant 40 autres. C’est, du strict point de vue des mesures effectuées sur ces actes terroristes, le seul attentat comparable en intensité à celui qui a touché la DCN. Un officier de sécurité du consulat américain, Rendall Bennett, semble s’intéresser à ces questions. Le courrier de l’un de ses adjoints, révélé par Libération, montre que dès le 8 mai 2002 son entourage ne croyait pas à l’hypothèse d’un attentat islamiste comme tant d’autres.
Le 1er juillet, il envoie un rapport confidentiel (copie intégrale ci-dessous) au département d’État sur l’ensemble de ces questions (seule raison pour lesquelles nous avons obtenu sa transmission). Seulement, l’essentiel des paragraphes a été blanchi au motif que leur divulgation porterait atteinte aux intérêts (diplomatiques, vraisemblablement) des Etats-Unis.
Le 9 juillet 2002 marque, pour les Américains, un tournant dans leur recherche pour identifier les responsables de l’attentat contre leur consulat. Les auteurs supposés ont été arrêtés, plusieurs d’entre eux semblent appartenir au groupuscule Harakat al Moujahidine.
L’équipe de Rendal Bennett câble alors un compte rendu sur des discussions qu’ils ont eues avec des cadres de la police à l’origine de leur arrestation (copie intégrale ci-dessous). Ces derniers leur fournissent un pedigree complet des suspects. Dans leur note, les fonctionnaires américains détaillent le cas de Mohammed Hanif (page 3 du document), lequel reconnaît avoir participé à des opérations de repérages pour l’attentat du 8 mai 2002.
Or, selon un procès-verbal de la DST française du 17 juillet 2002, le même Mohammed Hanif obéissait aux ordres d’un responsable des forces paramilitaires pakistanaises des Rangers, et dénommé Waseem Akhtar. Et ce sont ces mêmes unités des Rangers qui sont à l’origine de l’arrestation en un temps record – environ trois semaines – des membres du commando responsable de l’attentat contre le consulat américain, comme le rapportent les notes du département d’État que nous avons obtenues.
Dans leur ensemble, ces nouvelles pièces renforcent l’hypothèse d’une implication du groupe Harakat al Moujahidine, qui aurait pu agir sur instruction d’une partie de l’appareil sécuritaire pakistanais.
Précision : durant l’été 2002, l’auteur de l’article a été associé à l’enquête qui a débouché sur la rédaction des notes Nautilus. Depuis 2008, ces notes sont à l’origine du réexamen de l’affaire Karachi.
Non, vous ne regardez pas une rediffusion de Top Gun : vous êtes devant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” (“Au-delà de l’appel du devoir”), la nouvelle série de l’armée pakistanaise ! Estampillé “histoire vraie”, le show décrit le combat (héroïque, bien sûr) des soldats contre les Talibans dans la vallée de Swat en 2009. Une saga qui fleure bon le nationalisme et le mélo. ““Esprits invincibles, âmes immortelles” proclame le sous-titre en toute humilité. Lancé en janvier, le feuilleton compte onze épisodes, divisés en deux “saisons”. PTV, la télévision d’État, en diffuse le deuxième volet depuis la mi-juin.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
L’armée définit la trame de la série : le combat des soldats pakistanais, bravoure et idéaux en bandoulière, face aux Talibans autour de la ville de Mingora. Les militaires ont engagé une boîte de production pour réaliser les différents épisodes, tout en contrôlant strictement les scénarios et en se réservant le final cut.
Pas d’histoire linéaire au fil de la série, pas d’éternel héros invincible aux dents blanches, chaque épisode se concentre sur un nouveau fait d’armes glorieux. Que des évènements réels, paraît-il. Le premier épisode de la saison 2 met ainsi en scène deux soldats pakistanais s’emparant, en dépit des ordres, d’un canon anti-aérien détenu par les Talibans pour venger un de leurs camarades tombé au combat. “Une opération inouïe” s’enflamme le résumé rédigé par l’armée pakistanaise sur son compte Youtube. Tout d’abord réprimandés, les deux hommes se voient au final récompensés par un dîner en compagnie de leur commandant.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Propagande certes mais propagande à peu de frais. Chaque plan respire le manque de moyens. À peine 12.000$ de budget par épisode. Du coup on rogne où l’on peut : le casting par exemple. Plutôt que d’embaucher des comédiens, l’armée mobilise ses propres soldats. Nos deux héros précédemment cités sont par exemple joués… ô surprise… par eux-mêmes!
Je suis un soldat de cœur et d’esprit. J’ai seulement accepté de jouer ce rôle pour rendre hommage à mes confrères aviateurs et soldats
explique le major Zahid Bari, un de ces deux pilotes, interrogé par le Wall Street Journal.
C’est dans une grande opération de relations publiques que l’armée pakistanaise, véritable État dans l’État, a investi avec cette série. En diffusant son programme sur PTV, elle vise explicitement la masse de la population rurale, à peu près certaine d’obtenir ainsi des jolis chiffres d’audience. Malgré tout, l’enthousiasme est à pondérer.
Personne dans les grandes villes ne regarde PTV, ils ont beaucoup mieux avec les chaînes satellitaires. Il faut bien le dire : la télévision publique, c’est vraiment ennuyeux. Il n’y a que dans les campagnes que les gens regardent ça, ils n’ont juste rien d’autre.
confie Mariam Abou Zahab, spécialiste du Pakistan et de l’Afghanistan.
En regardant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” et ses héros débordant de bons sentiments, de courage, d’intégrité, de patriotisme, de dévouement, de droiture, le spectateur crédule en oublierait presque à qui il a à faire. Et s’il conserve encore des doutes, la page Facebook du show intitulée “PakArmyZindabad” (“Vive l’armée pakistanaise”) devrait achever le bourrage de crâne…
Dans le merveilleux monde manichéen de “Faseel-e-Jaan Se Aagay”, les “gentils soldats” sont opposés aux (très) “méchants islamistes”. Car le soap se veut bien une justification en prime time du retournement stratégique opéré par l’État pakistanais en l’espace de quelques années.
L’attitude du Pakistan envers les islamistes a toujours été teintée d’ambigüité. Malgré les troubles apportés par ces mouvements, certains s’avèrent bien utiles pour nuire à l’Inde, éternel ennemi, très supérieur en termes démographiques et militaires. Les spectaculaires attentats de Bombay de 2009 avaient, par exemple, été perpétrés par un réseau basé sur le sol pakistanais, Lashkar-e-Taiba.
Mais la stratégie trouve ses limites lorsque ces militants se retournent contre l’État pakistanais et commettent des attentats sur le territoire national. Pressé par les États-Unis engagés dans leur “guerre contre la terreur”, le Pakistan s’est donc retourné contre certains mouvements en provenance de l’Afghanistan en lançant des opérations militaires au sein de la zone frontalière à partir de 2004.
Restait à justifier auprès de la population cette guerre souvent ressentie comme un conflit mené pour les bonnes faveurs des États-Unis. En transposant la victoire de Swat (considérée comme un tournant de la guerre) sur le petit écran, les militaires apportent leur part à cette campagne de communication. Profitant donc de l’occasion pour se payer une belle publicité cathodique.
À sa décharge, le Pakistan n’a pas la primeur des séries télés chantant les louanges de l’armée. Il y va juste avec la finesse d’un char d’assaut.
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Illustrations: Affiches promotionnelles de la série
]]>La lecture de ces 91 pages comblera les esprits soucieux de reconstitution factuelle. En particulier, elle leur permettra de découvrir, en détail, les violentes tensions provoquées au Pakistan par le niveau de corruption sur ce contrat. Mais elle décevra les partisans d’histoires vites résumées, défenseurs de thèses définitives. Ceux-là seront frustrés d’y découvrir que la responsabilité d’Al-Qaida n’a jamais été prise au sérieux par les premiers enquêteurs. Ou que la DGSE n’a jamais rédigé, le jour de l’attentat, une note établissant un lien entre cet attentat et un arrêt de commissions décidé par Jacques Chirac dans le cadre de rivalités propres à la scène française (nous y reviendrons plus loin).
Ces pages ont été déclassifiées en plusieurs fois, et adressées au juge Marc Trévidic en charge de l’instruction judiciaire, bien souvent sans soucis de cohérence. Nous avons décidé de vous les présenter en restituant l’ordre dans lequel elles ont été rédigées, entre 1994 et 2009. Et en les regroupant dans dix dossiers chronologiques, correspondant à dix moments importants de l’affaire.
1 – Du 5 mai 1994 au 24 octobre 1997: les premières tensions au Pakistan (11 pages).
La négociation du contrat pour la vente des trois sous-marins Agosta, signé le 21 septembre 1994, fait intervenir un important intermédiaire pakistanais, Amer Lodhi, correspondant local des industriels français de l’armement. Le schéma de corruption profite en particulier à Ali Zardari – époux du Premier ministre de l’époque Bénazir Bhutto, avant de devenir plus tard président du Pakistan. Dès 1997, ces circuits financiers posent problème au Pakistan.
2 – Du 26 juin 1998 au 1er septembre 2000: au Pakistan de multiples procédures contre les bénéficiaires de ce contrat (15 pages).
Sur fonds de rivalités politiques, les militaires ayant profité des schémas de corruption pour le contrat des sous-marins sont inquiétés et poursuivis par l’administration pakistanaise.
3 – Du 8 mai au 11 mai 2002: les télégrammes adressés à la DGSE juste après l’attentat (5 pages).
Dans ce lot de documents, des sources judiciaires ont évoqué la présence d’une note datée du 8 mai 2002 faisant le lien entre l’attentat de Karachi, perpétré le jour même, et l’arrêt du versement de rétro commissions à des bénéficiaires français décidé en 1995 par Jacques Chirac. En réalité, la note où les services secrets français formuleraient eux-mêmes un tel lien n’existe pas. En revanche, il existe quatre comptes rendus de discussions, envoyés au quartier général de la DGSE entre le 8 mai et le 11 mai 2002, où des responsables politiques ou religieux pakistanais formulent leurs propres hypothèses au sujet de l’attentat. Cette liasse se lit plutôt comme un état des lieux des rumeurs sur place, recueillies peu après l’attaque terroriste. Dans ces télégrammes, un sénateur et un ambassadeur, connus pour leur hostilité envers l’Inde, y voient la marque des services secrets indiens. Et, surtout, le responsable d’une fondation islamique, farouchement opposée au président Pervez Musharraf (alors au pouvoir), y voit donc un règlement de compte anti français en relation avec des opérations de corruption au profit du même Musharraf. Sans faire aucun lien avec un arrêt du paiement de commissions ordonné par Chirac.
4 – Du 14 mai au 3 juin 2002: les premiers temps de l’enquête antiterroriste (14 pages).
Les Pakistanais tentent d’accréditer l’idée que l’attentat est l’œuvre d’Al-Qaida, ou d’un groupe venu de l’étranger. Cependant la DGSE montre, dans ses notes, qu’elle privilégie un attentat commis par des Pakistanais.
5 – Du 19 septembre au 26 décembre 2002: la DGSE reçoit les preuves des falsifications (12 pages).
La police pakistanaise interpelle deux suspects dans le dossier de l’attentat du 8 mai. Les agents de la DGSE relèvent des incohérences et surprennent les Pakistanais en flagrant délit de falsification (voir la note au sujet de la carte grise d’un présumé jihadiste).
6 – Du 14 mars au 8 septembre 2003: une évolution dans l’enquête (11 pages).
À la veille du procès des deux suspects, des services secrets français doutent toujours de leur culpabilité et s’intéressent à un important chef pakistanais, à la tête de plusieurs groupes islamistes armés, Amjad Farooqi.
7 – 28 septembre 2004: la mort d’Amjad Farooqi (5 pages).
Le 26 septembre de la même année Amjad Farooqi est tué dans une opération de police. La DGSE le présente clairement comme le cerveau de l’attentat du 8 mai 2002, mais précise qu’il n’entretient pas de lien étroit avec Al-Qaida. Des mentions blanchies dans la note ci-dessous donnent à penser qu’Amjad Farooqi était considéré comme un supplétif d’une partie des services secrets pakistanais de l’ISI.
8 – Du 7 mars au 9 septembre 2004: l’apparition tardive de l’hypothèse Al-Qaïda (9 pages).
Les interrogatoires de lieutenants d’Al-Qaïda emprisonnés à Guantanamo relancent la piste de l’organisation d’Oussama ben Laden comme responsable de l’attentat du 8 mai 2002. Mais dans ces documents, la DGSE ne règle pas les contradictions qu’elle avait elle-même identifiées pour écarter cette hypothèse.
9 – 17 février 2006: l’agrégation d’éléments disparates (6 pages).
Dans cette synthèse d’étape, la DGSE continue de pointer la responsabilité d’Amjad Farooqi tout en rajoutant celle d’Al-Qaïda.
10 – 7 mai 2009: l’acquittement des principaux suspects (3 pages).
La DGSE maintient sa version mais prend acte de l’acquittement des deux principaux suspects pakistanais. Les rédacteurs de la note rappellent les contradictions des éléments matériels recueillis par la police pakistanaise.
Image de Une CC Elsa Secco
]]>Les noms de ces deux intermédiaires d’origine libanaise, Ziad Takieddine et Abdulrahman al Assir, ont été cités à plusieurs reprises depuis que la justice a relancé ses investigations sur cette attaque terroriste perpétrée le 8 mai 2002 à Karachi. L’attentat avait pris pour cible un bus transportant des employés français du groupe d’armement DCNS (appelé alors DCN) qui travaillaient sur place à la construction de sous-marins. Ce chantier reposait sur un contrat d’armement signé au Pakistan le 21 septembre 1994 par le gouvernement d’Édouard Balladur. Sur un plan financier, l’affaire s’était peu à peu révélée entachée de multiples opérations opaques, voire illicites.
Le juge antiterroriste Marc Trévidic, qui cherche à reconstituer les conditions de signature de ce contrat d’armement, s’intéresse ainsi à ces deux hommes d’affaires, présentés par de multiples témoins comme les intermédiaires alors imposés par les réseaux balladuriens. Selon la DGSE, le premier d’entre eux et le plus mystérieux, Abdulrahman al Assir, se révèle proche de trafiquants d’armes et de trafiquants de drogue, tout en fréquentant le gotha de la politique et de l’industrie de l’armement. La note de quatre pages ci-dessous, datée du 29 avril 2009, a ainsi été rédigée pendant les dernières négociations militaires et commerciales entre la France et le Qatar (les parties blanchies l’ont été par l’administration, les quelques bandes noires ont été rajoutées par la rédaction pour protéger l’identité et les adresses de tiers).
Au printemps 2009, l’Élysée suivait de près de multiples projets de coopération entre la France et le Qatar, notamment dans le domaine militaire. Les dossiers du moment portaient sur la vente de missiles Exocet à l’émirat, sur la fourniture d’hélicoptères de combats Tigre, ou encore sur l’installation à Doha (capitale du Qatar) de la première succursale à l’étranger de l’École militaire de Saint-Cyr.
Ziad Takieddine, l’autre intermédiaire libanais intéressant la justice – et la DGSE – , a toujours, pour sa part, nié avoir participé aux négociations de 1994 pour la vente des sous-marins Agosta au Pakistan. Cependant, de multiples cadres de l’armement ont affirmé le contraire sous serment. Et le 31 janvier dernier, François Léotard, ministre de la Défense au moment de la signature du contrat, a clairement confirmé sa participation au négoce lors de son audition dans le bureau du juge Trévidic. Dans sa note de trois pages, ci-dessous, la DGSE relève, pudiquement « l’important réseau relationnel de Takieddine » en France.
Sur les trois pages de cette note au sujet de Ziad Takieddine, la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) a décidé d’en « blanchir » une en intégralité. Indiquant implicitement que cet homme d’affaire, naturalisé français en 1987, emporte dans son c.v, aujourd’hui encore, quelques secrets sensibles pour la République.
Avec le même esprit cachottier enfin, la CCSDN a transmis au juge une note de la DGSE du 6 juillet 1998 dont le titre est à lui seul une promesse : « Pakistan – France. Marchés de l’armement et affaires de corruption ». Mais sur les cinq pages déclassifiées, six paragraphes seulement n’ont pas été blanchis – comme vous le découvrir ci-dessous. Bien que très parcellaires, ces éléments mettent en évidence la corruption des militaires pakistanais sur ce contrat, et les tensions spécifiques que ces financements illicites ont provoquées à la fin des années quatre-vingt-dix sur place au Pakistan.
Globalement, ces liasses de la DGSE mettent en évidence l’importance des opérations occultes qui ont pu entourer le contrat de 1994. Qu’elles concernent les réseaux proches des balladuriens, ou qu’elles touchent des militaires pakistanais. Sans qu’il soit possible, à ce jour, de déterminer lesquelles auraient pu éventuellement représenter un mobile à l’attentat du 8 mai 2002.
Retrouvez notre dossier du jour sur Karachi :
]]>$128 milliards de dommages – $43 milliards de biens assurés = $85 milliards… Qui paie la différence? Toutes les pertes économiques ne sont pas couvertes par les assurances. Dans son rapport Sigma 2010, la compagnie d’assurance Swiss Re estimait que les pertes des biens assurés, sur l’ensemble des catastrophes, étaient de $43 milliards alors que les pertes économiques globales se chiffraient à plus de $128 milliards, soit 2/3 de plus! Alors, qui paie la différence? Les individus, les entreprises, les collectivités, les États… mais quand cela leur est possible…
Prenons les inondations survenues au Pakistan en été 2010. Elles ont à peine fait la une des médias et mobilisées les donateurs pour secourir les populations.
Pourtant la Banque Mondiale et la Banque Asiatique de Développement évalue à 9,7 milliards de dollars les dégâts et à 20 millions le nombre des victimes (dont près de 2000 morts). Ban Ki Moon, le Secrétaire Général de l’ONU, dans son discours du 19 août 2010 estime même qu’il s’agit d’un « tsunami au ralenti, dont le pouvoir de destruction se consolidera et s’étendra au fil du temps. Qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’une catastrophe mondiale et d’un défi mondial. » Autant dire que dans cette région pauvre du Pakistan, peu de personnes avaient les moyens d’assurer leur biens. Et encore eût-il fallu qu’il y ait un marché de l’assurance pour ce type de risque… Et l’État n’est pas suffisamment organisé et/ou riche pour indemniser les victimes. Alors forcément, ce sont encore les pauvres qui sont doublement touchés: ils sont les plus exposés et ils sont les moins couverts pour faire face aux catastrophes. En attendant, ces populations touchées ne peuvent qu’attendre, impuissante, une aide humanitaire contingente, qui pallie, bon an mal an, l’absence de système d’indemnisation.
Retour en août 2005, Nouvelle-Orléans, après le passage du cyclone Katrina. Le public découvre l’autre visage des États-Unis: celui d’une population pauvre (et en majorité noire), livrée à elle-même, maisons détruites et sans moyen pour partir vivre ailleurs ou reconstruire leur maison. Cinq ans après le passage de l’ouragan, certains rescapés continuent de vivre dans des caravanes fournies par l ’Agence fédérale de gestion des urgences (FEMA)… s’ils n’ont pas été expulsés avant comme l’indique un article du Los Angeles Times repris par la Courrier International.
Si ces populations ont été frappées de plein fouet c’est parce qu’elles n’avaient pas les moyens de souscrire une assurance contre les catastrophes naturelles: selon le bureau du gouverneur du Mississippi, le républicain Haley Barbour, 53 % des occupants des caravanes déployées par la FEMA dans son État gagnent moins de 20 000 dollars [14 700 euros] par an…
Un fonds d’indemnisation des catastrophe naturelles: le principe de solidarité nationale en France. La France a mis en place un régime original d’assurance obligatoire aux catastrophes naturelles institué par la loi du 13 juillet 1982. Ce régime est dit « à péril non dénommé » car il n’existe pas de liste exhaustive des périls (ou aléas) qu’il couvre. Pour bénéficier de ce fonds deux conditions doivent être remplies:
Le régime Catastrophes Naturelles (Cat-Nat) repose sur le principe de solidarité nationale, lui même défini par deux composantes:
Ainsi, d‘après un rapport du Commissariat Général au Développement Durable de mai 2010, 8,3 Md€ ont été indemnisés de 1995 à 2006, en France métropolitaine, au titre des évènements naturels reconnus comme «catastrophes naturelles».
Mais ce système n’est pas la panacée car il crée un effet pervers appelé « aléa moral », c’est à dire qu’une personne assurée contre un risque ne prend pas de précautions pour empêcher ce risque ou s’en protéger car elle sait qu’elle sera de toute façon remboursée. Le système français tente donc d’introduire une politique de prévention, notamment au niveau des communes, pour que celles-ci prennent en compte le risque de catastrophes naturelles dans leur plan d’aménagement. Et nous retombons là dans le violent débat qui a suivi le passage de la tempête Xynthia, opposant l’État et les collectivités territoriales, les habitants et les assureurs…
Assurance, solidarité et changement climatique, un trio qui doit apprendre à vivre ensemble pour éviter tensions et injustices. Avec l’ampleur toujours plus grande des dégâts dus aux catastrophes naturelles, l’augmentation de leur intensité lié au changement climatique, et les inégalités de revenus entre pays et populations, nous sommes confrontés à une thématique cruciale du « développement durable », trop souvent minorée. Il s’agit pour le secteur de l’assurance de trouver un modèle économique viable qui ne mette pas sur le carreau les personnes les plus exposées aux catastrophes et les plus pauvres. Une intervention de l’État me paraît donc indispensable pour à la fois favoriser un marché de l’assurance tout en veillant à ce que tous les habitants soient inclus dans ce système, par des mécanismes de solidarité. Cela paraît une conclusion évidente. Mais le système d’indemnisation français Cat-Nat reste une exception dans le paysage mondial…
Article initialement publié sur Globule Vert
Photos FlickR CC : par IRIN Photos et par UNICEF Canada
]]>Au bal des chefs d’Etat, l’ancien président Pervez Musharaff n’a pas oublié le jeu des masques. Surtout au moment de réagir, à chaud sur le site de The Nation, à la mort annoncée d’Oussama Ben Laden :
L’Amérique entrant sur notre territoire pour y mener une opération militaire, c’est une violation de notre souveraineté. La conduite et l’exécution de cette opération (par les forces américaines) ne sont pas appropriées. Le gouvernement pakistanais aurait dû être placé dans la boucle.
Un discours nationaliste qui omet l’essentiel du double jeu mené depuis des lustres par Islamabad pour masquer une coopération aussi intense que clandestine avec les Talibans et leurs alliés d’Al Qaïda. Ce faisant, Musharaff oublie qu’en 2007, il avait dû faire appel à des unités militaires différentes de celles de l’ISI pour se débarrasser des activistes de la Mosquée rouge, au coeur de la capitale. Une opération qui avait une fois encore dévoilé les liens unissant les islamistes aux services spéciaux pakistanais, ainsi que le racontait Roger Faligot en 2007 sur Rue89 :
Sous la mosquée, un centre de transmission secret a été découvert, avec des fils tirés directement du quartier général de l’ISI voisin (dont des membres venaient fréquemment faire leurs dévotions dans cette mosquée).
Sauf à considérer que le chef d’Al Qaïda ait joui durant dix ans d’une chance extraordinaire, les autorités locales pouvaient-elles ignorer sa présence à Abbottabad dans un complexe gardé et sécurisé ? Le limogeage du général commandant l’ISI en septembre 2007 avait pourtant marqué un premier tournant dans la tentative de reprise en main du gouvernement sur cette administration de 25 000 fonctionnaires, qualifié d’état dans l’Etat.
L’explication de cette proximité dangereuse tient aux méandres des troubles alliances nouées par les services pakistanais depuis l’occupation soviétique de l’Afghanistan dans les années 80. Deux anciens responsables de l’ISI l’avaient clairement détaillé dans une longue enquête publiée en janvier 2008 dans le New York Times :
Les deux anciens responsables de haut rang des services ont reconnu que, après le 11-Septembre, quand le président Musharraf s’est publiquement allié avec l’administration Bush, l’ISI n’a pas pu contenir les militants qu’elle avait alimentés depuis des décennies pour exercer une pression sur l’Inde et l’Afghanistan. Après avoir contribué à développer des convictions islamiques dures, l’ISI a dû lutter pour empêcher cette idéologie de se répandre.
Concrètement, la coopération clandestine avec les islamistes installés en Afghanistan donna lieu à de nombreux règlements de comptes internes :
Un autre responsable a affirmé que des dizaines d’officiers de l’ISI, qui avaient entraîné ces militants, sont devenus des sympathisants de leur cause et ont dû être chassés de l’agence. Il a affirmé que trois purges ont eu lieu depuis la fin des années 1980, et ont même concerné trois directeurs de l’ISI suspectés de sympathies avec les militants.
Dans ces conditions, difficile de croire que les forces spéciales américaines aient pu intervenir sans avertir leurs homologues… mais sans doute pas ceux de l’ISI, par crainte de fuites susceptibles de faire capoter l’opération.
Cette situation ne devrait d’ailleurs pas disparaître du jour au lendemain. On voit mal pourquoi les Pakistanais se priveraient d’un pouvoir de nuisance efficace pour affaiblir leurs voisins (Inde et Afghanistan). La manne (estimée à 2 milliards de dollars par an), tirée du trafic de pavot peut aussi expliquer la permanence de ces liens. Sans compter les pressions indirectes exercées sur les alliés occidentaux d’Islamabad. Une déclaration d’Omar Bakri, un prêcheur radical assigné à résidence à Tripoli (Liban), a voulu donner le ton à tout ceux qui s’improviseront héritiers spirituels d’OBL, en prévoyant de futures représailles en Europe:
Sans doute le martyre d’Oussama Ben Laden va donner un nouveau souffle à la nouvelle génération, car l’entreprise du jihad ne s’arrêtera pas. Nous nous attendons à des réactions de cette génération en Europe (…) Il y aura des opérations pour venger cheikh Oussama.
L’image de Une en CC pour OWNI par Marion Boucharlat
Ben Laden dans les archives des services secrets par Guillaume Dasquié
Les 300 000 morts de la guerre contre le terrorisme par Jean Marc Manach
Mort de Ben Laden : l’étrange communication de l’Élysée par Erwann Gaucher
Photoshop l’a tuer par André Gunthert
]]>Ecoutez ici l’interview en VF:
Ce que nous faisons c’est publier des ensembles de données brutes. On les met à disposition du monde et on demande à notre public de s’en servir, d’en faire quelque chose. Parallèlement, on dirige un service au sein du Guardian qui analyse et rend exploitable des données par nos journalistes, c’est ce qu’on appelle en fait du data-journalisme, du journalisme de données : transformer une masse de données en information, en histoire qu’on peut raconter à nos lecteurs. J’ai commencé à travailler au Guardian le 10 septembre 2001, c’était mon premier jour ! Le lendemain, j’ai vu le monde devenir complètement fou. Il se passait tellement de choses en même temps qu’on a eu besoin de produire des infographies pour les expliquer. Il y avait trop d’infos, de données, à gérer pour confier cela uniquement à des graphistes. Je me suis donc retrouvé à bosser sur des graphiques avec des designers pour expliquer l’information avec des visuels. C’est comme cela que j’ai commencé à collecter des masses de données.
Par la suite, en mars 2009, le Guardian a lancé sa plateforme ouverte (open platform) destinées aux développeurs et aux technophiles. Elle leur permet d’interroger les données du Guardian et de réaliser des applications à partir de ces données. Par exemple, on peut fabriquer une application qui permet, quand on est dehors, d’entrer notre adresse et l’application nous dit quels sont les restaurants alentours avec les critiques du Guardian. C’est cela l’idée de la plateforme ouverte. Au moment où le journal a proposé ce service d’accès à ses données, on a pensé que ce serait bien d’ouvrir parallèlement un data blog, un blog de données. On a publié quelques paquets de données pensant que cela intéresserait un petit nombre de développeurs. En fait cela a vite décollé, c’est devenu un blog qui reçoit deux fois plus de visites que le département officiel des statistiques du Royaume Uni. Beaucoup de gens visitent notre site parce qu’ils cherchent des informations brutes sur, par exemple, les émissions de carbone dans l’ensemble du pays ou quelles aides a reçu le Pakistan en provenance de quel pays après les inondations. En fait, tout peut être envisagé comme des données.
On a par exemple publié tous les mots utilisés par les Beatles dans leurs chansons. Combien de fois ont-ils employé le mot « love » (amour) ? 613 fois figurez-vous. Tout peut être transformé en données. Et ce qu’il y a de magique, c’est qu’une fois que vous avez transformé quelque chose en chiffres et en tableaux, les gens peuvent s’en servir pour faire des visualisations, des graphiques et des analyses.
En fait quand on a mis en ligne le data blog en mars 2009, c’était une thématique encore très confidentielle. Après cela, le gouvernement américain a lancé data.gov, et puis cela s’est étendu au monde entier. Depuis un an, de plus en plus de gouvernements publient leurs données. Ils ont maintenant une vraie pression qui les incite à rendre leurs données publiques dans des formats exploitables par tous. Plutôt que d’utiliser du .pdf, qui est le format traditionnellement utilisé par les gouvernements, on leur demande des formats exploitables comme le .csv ou .xls. En résumé, on a eu de la chance et puis il faut avouer qu’il y avait une tendance quand même. Les gens veulent de l’information brute.
Mon grand-père veut savoir le prix du pétrole, où puis-je trouver cette information ? Et comment savoir si ce sont des données fiables ? Par exemple au Royaume Uni, le PIB est une donnée très importante, c’est publié tous les mois. Si vous allez voir sur le site des statistiques officielles, vous allez trouver 9 ou 10 manières différentes de calculer le PIB. Comment savoir quelle est la bonne méthode ? Ça c’est une question qu’on s’est déjà posée au Guardian à laquelle on a déjà trouvé des réponses parce qu’on en a besoin, donc on partage notre savoir faire.
De mon point de vue, chaque sujet comporte une dimension « données » en lui. D’un point de vue technique, ce n’est pas si compliqué, ce doit être un outil de plus pour les journalistes. On ne doit pas envisager cela comme un machin insurmontable et flippant. C’est juste une autre manière d’accéder à l’information. En réalité, la plupart des choses que l’on fait sont très simples. On utilise des logiciels que tout le monde possède. On a tous un tableur sur notre ordinateur, Excel, OpenOffice ou quoi que ce soit d’autre. C’est un outil aux capacités extraordinaires. Pas besoin d’être mathématicien ou statisticien. Tout ce qu’il faut faire c’est traiter cela comme toute autre information : il faut douter, interroger et se poser des questions de base.
Ce qui est intéressant là dedans c’est que par le passé, on avait tendance à garder les données pour soi. Aujourd’hui, on les publie et par conséquent, notre rôle est d’aider les gens à les interpréter, à les analyser, à les montrer. Dans certains cas, un petit tableau suffit ou même la mise en avant d’un chiffre clé ou la comparaison entre un chiffre et un autre. Parfois ce simple travail est suffisant mais, dans d’autres cas, on veut vraiment montrer ces chiffres physiquement. Pour ce faire, le mariage de la visualisation et des données peut avoir un impact très fort. Par exemple, dans le cas des fuites de wikileaks, on a cartographié toutes les bombes artisanales en Afghanistan de manière chronologique. Grâce à cette visualisation, on comprend comment leur usage s’est multiplié et pourquoi c’est devenu un paramètre essentiel de la guerre. Seule la visualisation permet de montrer cela.
Maintenant, est-ce qu’il faut être un graphiste pour faire des visualisations ? Il y a plusieurs approches. Il y a des personnes qui sont avant tout journalistes et qui réalisent des visualisations comme David McCandless et son « Information Is Beautiful ». Il a une formation de journaliste, il n’est pas graphiste mais il a produit de très belles visualisations qui expliquent bien les choses. En revanche, il arrive qu’on ait vraiment besoin d’un graphiste pour réaliser une visualisation complexe.
Il existe, par ailleurs, des outils très simples, accessibles en ligne, qui permettent de réaliser des visuels : Manyeyes, Timetric et même Google propose des outils de visualisation que chacun peut utiliser pour raconter une histoire.
C’est une évolution très intéressante. Il y a encore un an, on militait pour accéder aux données et aujourd’hui on croule sous les données que nous recevons. Par exemple, au Royaume Uni, le Trésor avait une base de données importante appelée COINS qui répertorie tout ce qui est dépensé par le gouvernement, dans le moindre détail, il y a des millions d’informations. Le nouveau gouvernement a rendu ces données publiques, on avait beaucoup milité pour ça. Il y a un an, on voulait accéder à ces infos, aujourd’hui on les a et il s’agit maintenant d’aider les gens à s’en servir, à les analyser. Donc ce qu’on a fait avec la base de données COINS, on a choisi le meilleur format, le .csv. On a choisi la meilleure période et les départements les plus faciles à comprendre et on a rendu l’ensemble plus intelligible.
Pour moi, le rôle des journalistes va, de plus en plus, ressembler à ça. Rendre les données accessibles et compréhensibles. Au Guardian, on propose aussi un service qui s’appelle World Governments Data Search, recherche de données gouvernementales dans le monde. Si vous tapez World Government data dans Google, on sort en premier. En fait notre service répertorie toutes les publications de données gouvernementales dans le monde et vous permet par exemple de faire une recherche sur le mot crime, vous aurez alors des chiffres des USA, du Royaume Uni, de Chicago, de Californie, de France euh non d’Espagne pas de France, de Nouvelle-Zélande etc…et vous pouvez aussi comparer ces chiffres. L’enjeu maintenant c’est de trouver une bonne manière de combiner toutes ces données pour permettre aux gens de les utiliser. Parce que les gens veulent faire des choses avec ces chiffres, chez eux, à la maison et on veut les aider pour faire partie de ce mouvement.
Ce qu’il faut comprendre c’est que les gouvernants n’ont rien à perdre. Aux USA, au Royaume Uni, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, le monde ne s’est pas écroulé parce que les données gouvernementales ont été rendues publiques ! Cela a tout simplement rendu les choses plus ouvertes et plus transparentes à une époque où on ne fait plus confiance aux politiciens, on ne fait plus confiance à la politique. Vous voulez qu’on vous fasse confiance ? Il faut être ouvert. Rendre ses données publiques c’est essentiel pour cela, il faut le faire dans un format pratique pour encourager les gens à s’investir.
Quand Data.gov.uk a été mis en ligne, ils ont impliqués plein de développeurs pour permettre aux gens d’accéder à cette masse d’infos, pour moi c’est le rôle du gouvernement de faire ça. Il y a beaucoup d’exemples aujourd’hui que ceux qui militent pour l’ouverture des données peuvent utiliser pour montrer que les pays ne se sont pas effondrés à cause de l’open data. L’open data ne peut que renforcer la foi des peuples dans leurs gouvernants.
C’est une nouvelle tendance du journalisme. Les journalistes vont devoir de plus en plus gérer des masses de données et trouver des infos et des histoires dedans. A l’avenir, un journaliste ne pourra plus dire « je ne m’occupe pas de tableurs… », cela fera vraiment partie de son boulot. Au Guardian, cela a vraiment changé notre manière de travailler. Aujourd’hui les données sont une partie intégrante de notre job. Maintenant, je pense que les infos de Wikileaks sont excellentes pour comprendre ce qui se passe. Si vous regardez les rapports divulgués sur l’Afghanistan, ils montrent à quel point cette guerre est difficile. Cela raconte notamment comment des gens tentent d’apporter de l’aide humanitaire dans un village et cela n’intéresse personne, parce que les villageois ont peur de la corruption etc…Il y a ce genre d’infos où on voit que les militaires se sentent responsables du bien être des populations locales. On finit en fait par se demander pourquoi l’armée ne publie pas ces rapports.
Il n’y a rien de sensationnel, ça ne change même pas la manière dont on perçoit cette guerre. Cela fait en tous cas de la guerre en Afghanistan une des plus documentées de l’histoire, grâce à ces fuites. Est-ce que cela a nuit aux États-Unis ? Pas vraiment je pense. Le gouvernement américain nous a aidé à retirer les noms cités dans les rapports pour ne pas mettre les personnes en danger.
Cela va être intéressant de voir comment les autorités gèrent cela. Il y a eu des menaces mais rien de très concret. Et puis il va y avoir bientôt de nouvelles lois de transparence et de protection du journalisme en Islande. Cela va devenir un abri pour les journalistes. Sur le même modèle que les paradis fiscaux, on aura des paradis journalistiques, des lieux protégés pour la liberté sur internet. Les gens iront là-bas pour publier des données sensibles.
En tous cas, Wikileaks a complètement changé le rapport que l’on a avec les documents que l’on produit, géographiquement notamment. Je pense en tous cas qu’à l’avenir ce type de fuites ne va faire que se multiplier.
>> Interview initialement publiée sur l’Atelier des Media de RFI.
>> Crédit photo : Jessica Chekroun (la photo n’est pas en Creative Commons)
]]>Sans ouvrir les vannes d’un nouveau scandale dans les couloirs du Pentagone et ceux de la Maison-Blanche, les trois pages publiées par WikiLeaks ne sont pas totalement dénuées d’intérêt. Alors que Barack Obama a décidé d’abandonner la terminologie bushiste “guerre contre la terreur” depuis plus d’un an au profit d’un “opérations internationales contingentées” de facture technocrate, ce mémo vient poser un nouveau regard, interne, sur la doctrine américaine en matière de terrorisme.
Ce court document a été rédigé par la Red Cell, une émanation de la CIA créée sur les décombres du 11-Septembre. A l’instar du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine), son avis est purement consultatif, ce qui en fait une sorte de think tank interne, chargé de fournir des recommandations aux cadres de l’agence, comme a pu le faire la RAND Corporation en son temps.
Et dans ce résumé NOFORN (Not Releasable to Foreign Nationals: non destiné aux gouvernements étrangers), les experts du renseignement américain insistent sur une dégradation des relations diplomatiques dans l’hypothèse où les États-Unis seraient considérés comme l’un des principaux pourvoyeurs de la planète en matière de bombes humaines et autres candidats au martyr. Pour accréditer cette thèse, la cellule de la CIA cite plusieurs exemples, des militants de l’IRA délocalisés sur le sol américain à David Headley, le Pakistano-Américain qui a joué le facilitateur dans les attentats de Bombay en novembre 2008. “Si les États-Unis étaient considérés comme un ‘exportateur du terrorisme’, les gouvernements étrangers pourraient s’entendre entre eux sur un des accords multilatéraux qui impacteraient la souveraineté américaine”, peut-on lire.
De la rupture des accords d’extradition aux assassinats ciblés en passant par les exfiltrations sur le sol américain, le scénario élaboré par la Red Cell trace les contours d’un pays ostracisé, comme si les États-Unis devenaient soudainement le Pakistan d’Amérique. Invariablement dans le rapport, l’expression “exporter la terreur” ne se départit jamais des ses guillemets. Pourquoi? Parce que cette notion (cette doctrine?) vieille de plus de 25 ans a été élaborée par… l’administration de Ronald Reagan, et perpétuée par ses successeurs. Jusqu’à la fin de son mandat, George W. Bush dénonçait l’Irak comme un “foyer exportateur du terrorisme”.
La National Security Archive, une institution indépendante de l’Université George Washington qui passe au crible des documents déclassifiés dans le cadre du Freedom of Information Act, nous rappelle les fondements de cette politique:
“Le 3 avril 1984, le président Reagan a signé [la directive] NSDD 138, Combattre le terrorisme, qui allait bien plus loin que la simple allocation de responsabilités aux différentes agences. La directive en elle-même n’a jamais été publiée, mais un extrait préparé par les archives de la sécurité nationale en divulgue certains éléments – mener des missions de renseignement contre les groupes ou les pays impliqués dans le terrorisme, ou étendre les sanctions à l’encontre des organisations et États qui supportent ou exportent le terrorisme.”
Mais celui qui en parle le mieux, c’est encore Ronald Reagan lui-même (ou ses conseillers diplomatiques de l’époque):
“Ces dernières années, une nouvelle forme de terrorisme particulièrement inquiétante s’est développée: l’emploi de la terreur par des pays étrangers [...] Sont également perturbants l’entraînement, le financement et le soutien logistique à des groupes terroristes. Ces activités sont extrêmement sérieuses et représentent une source exponentielle de danger pour nous, nos amis et nos alliés, en même temps qu’un défi pour la politique étrangère de l’Amérique.”
Ce défi est toujours d’actualité pour Barack Obama, à ce détail près: la peur a changé de camp.
Illustration CC FlickR par Hazel Motes, sarihuella