Livre : comment inventer un datamining plus humain ?
Comment faire en sorte que les ouvrages plus confidentiels trouvent leur public sur le Net, par le biais de la recommandation ? Les auteurs et petits éditeurs devront collaborer ensemble pour Thierry Crouzet.
ComÂment les auteurs réussiront-ils à transÂmettre leurs textes longs à des lecÂteurs rares et éparÂpillés ? Soit ces textes longs n’ont plus de perÂtiÂnence, et il n’y a aucun proÂblème, le blog deveÂnant la seule forme litÂtéÂraire contemÂpoÂraine. Soit les textes longs contiÂnuent de jouer un rôle cultuÂrel clé, ce que je pense, et nous devons les connecÂter avec les lecÂteurs qui pourÂraient les goûÂter… et qui, par ailleurs, ne goûtent pas nécesÂsaiÂreÂment les textes courts propres aux blogs.
Aujourd’hui, les éditeurs nous bomÂbardent de bestÂselÂlers. De leur côté, les libraires éclaiÂrés et les bloÂgueurs liseurs nous conseillent quelques lecÂtures hors des senÂtiers batÂtus. Dans un monde de plus en plus numéÂrique, à côté de cette presÂcripÂtion humaine, les outils de dataÂmiÂning (anaÂlyse de ce que vous lisez, des articles que vous consulÂtez, comÂpaÂraiÂson avec ceux qui effecÂtuent les mêmes actions que vous… ) proÂposent déjà des filtres de presÂcripÂtion (lisez ce que vos amis lisent). Par affiÂniÂtés élecÂtives, des ouvrages en relaÂtion avec ceux que nous lisons nous sont proÂpoÂsés, pour nous faire desÂcendre vers les bas-fonds de la longue traîne. Excepté quelques auteurs stars, tous les autres dépendent de plus en plus d’algorithmes que seuls des géants peuvent mettre en Å“uvre (car eux seuls disÂposent de sufÂfiÂsamÂment de donÂnées). Il y a de la place pour Apple, AmaÂzon, Google… Je ne vois même pas la Fnac s’en tirer.
Sur Internet, la même dépendance aux grosses machines ?
Se pose la quesÂtion pour les petits éditeurs et les auteurs indéÂpenÂdants de faire connaître leur proÂducÂtion. On parle touÂjours de la nécesÂsité d’avoir un blog et une plate-forme proÂpriéÂtaire mais elle ne perÂmetÂtra pas de faire du dataÂmiÂning, faute d’un nombre de tranÂsacÂtions sufÂfiÂsamÂment élevé. Il sera imposÂsible dans un petit écosysÂtème d’amener les textes vers les rares lecÂteurs qui, quelque part, existent et qui pourÂraient les appréÂcier. Cette tâche semble dès lors dévoÂlue aux seules grosses machines.
Un site est un bon endroit de fidéÂliÂsaÂtion mais pas un lieu à parÂtir duquel gagner de nouÂveaux lecÂteurs, sinon par un lent grapÂpillage (qui n’est pas nécesÂsaiÂreÂment comÂpaÂtible avec la forme blog). Je ne fais que mettre en évidence un piège qui est en train de se referÂmer : nous avons cru à l’indépendance en ligne, nous risÂquons d’y être plus que jamais dépenÂdants de la distribution.
Il n’existe guère qu’une soluÂtion pour conserÂver notre liberté : l’interconnexion des auteurs et des éditeurs selon une logique win-win. Mettre en Å“uvre un dataÂmiÂning humain. C’est ce que je théoÂrise dans L’alternative nomade. Mais je me demande si les auteurs réusÂsiÂront à praÂtiÂquer cette straÂtéÂgie du lien, tant pour la pluÂpart nous ne penÂsons qu’à pousÂser nos propres textes au détriÂment de ceux des autres. Si cette menÂtaÂlité se mainÂteÂnait, ce serait notre perte, nous serions défiÂniÂtiÂveÂment dépenÂdants de la distribution.
Le prix unique du livre électronique, une catastrophe
Pour avoir une chance de ne pas nous empriÂsonÂner, il fauÂdrait au miniÂmum que nous puisÂsions vendre en direct nos Å“uvres au prix que nous souÂhaiÂtons, donc moins cher que la grande disÂtriÂbuÂtion. C’est ce que je tente avec La tune dans le caniÂveau.
C’est pourÂquoi le prix unique du livre élecÂtroÂnique serait pour les auteurs et les éditeurs une catasÂtrophe. En nous interÂdiÂsant de vendre en direct à un prix avanÂtaÂgeux, il donÂneÂrait une raiÂson de moins pour les lecÂteurs de venir sur nos sites perÂsonÂnels ou ceux de nos éditeurs. Ces lecÂteurs auraient une chance de moins d’être en contact d’un dataÂmiÂning humain, un dataÂmiÂning de la pasÂsion et non uniÂqueÂment celui d’élections algoÂrithÂmiques ou promotionnelles.
Si nous réusÂsisÂsons à proÂpoÂser chez nous nos Å“uvres à un prix avanÂtaÂgeux, chaque fois qu’un lecÂteur trouÂvera un livre sur une grosse plaÂteÂforme, il saura qu’avec un petit effort il trouÂvera le texte moins cher à la source. Le plus souÂvent, il ne s’y renÂdra pas, par comÂmoÂdité, mais il saura que cette porte est touÂjours ouverte et qu’elle offre d’autres itiÂnéÂraires de lecture.
Résumé
-Un blog d’auteur avec des articles relaÂtiÂveÂment courts n’est pas nécesÂsaiÂreÂment un vecÂteur adapté pour proÂpulÂser des textes longs.
-Un auteur sur son blog peut se proÂpulÂser mais pas se prescrire.
-Tous les auteurs et tous les éditeurs peuvent s’interconnecter pour créer un dataÂmiÂning humain.
-On peut imaÂgiÂner un proÂtoÂcole open data pour interÂconÂnecÂter tous les venÂdeurs directs de livres et proÂpoÂser des algoÂrithmes de presÂcripÂtion décenÂtraÂliÂsés qui vienÂdraient rivaÂliÂser avec ceux des plaÂteÂformes géantes.
-Nous devons nous oppoÂser au prix unique du livre pour pousÂser nos lecÂteurs à venir acheÂter chez nous. Le prix unique ferait le jeu des grandes plateformes.
-Le prix unique du livre papier devait proÂtéÂger les petites libraiÂries. Le prix non unique du livre élecÂtroÂnique s’impose pour proÂtéÂger les auteurs et les éditeurs. Un choix inverse s’impose parce que nous avons les moyens de vendre moins cher chez nous, en direct, puisque nous sommes les producteurs.
- N’oublions pas que sur un réseau the winÂner takes all. Nous devons empêÂcher cette perte de diverÂsité et surÂtout pas la favoÂriÂser par une loi sur le prix unique. Notre seule chance sera de proÂpoÂser nos textes moins chers chez nous.
-Au temps du papier, les éditeurs ne pouÂvaient pas vendre en direct puisque tout le monde acheÂtait en libraiÂrie. La loi sur le prix unique tenÂtait de mettre tous les disÂtriÂbuÂteurs, petits ou grands, à égalité.
-Il s’agit aujourd’hui de ne pas obliÂger les éditeurs-vendeurs en direct via leur site à se souÂmettre aux gros distributeurs.
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Billet initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet
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