OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Tarnac Production http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/ http://owni.fr/2012/03/12/tarnac-production/#comments Mon, 12 Mar 2012 08:22:19 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=101598

David Dufresne, auteur du livre "Tarnac, magasin général"

L’affaire de Tarnac, symptôme à un plus d’un titre. Pas seulement d’une nouvelle forme de militantisme dur sur-interprété par des services antiterroristes toujours soucieux de justifier leurs pouvoirs dérogatoires. L’affaire de Tarnac montre aussi des médias qui pendant plusieurs mois ne parviennent pas à reconstituer cette complexité-là sans parti pris. L’information selon laquelle des militants ont bien dégradé des voies ferrées, mais que leurs actes relèvent du vandalisme et non pas du terrorisme, appartient au domaine de l’indicible. Comme si elle ne plaisait à personne.

Comme si, dans les médias, les stratégies de communications des uns et des autres profitaient alternativement d’une chambre d’écho. Celles des services de renseignement, de la police, des avocats, de la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et des militants politiques proches du groupe de Tarnac. Ce jeux des médias dans l’affaire de Tarnac apparaît tout au long du livre “Tarnac magasin général”, que vient de publier l’auteur et journaliste David Dufresne aux éditions Calman-Lévy. L’affaire judiciaire y passe au second plan et laisse la place à une comédie politico-médiatique. Piquante. Entretien.

L’affaire de Tarnac présente des médias versatiles, reprenant d’abord sans trop de discernement les affirmations policières, puis, dans un deuxième temps, cherchant à démontrer que les militants de Tarnac n’ont jamais dégradé de voies ferrées, avec le même entrain. Comment analysez-vous ce passage entre deux postures radicales ?

Effectivement, il existe un effet de balancier. Il s’est opéré en trois semaines. Dans un premier temps, le discours de Michèle Alliot-Marie se retrouve partout, comme dans ce journal de 13h de France 2 du 11 nov 2008, jour de l’arrestation, peut-être le plus caricatural. Toute la phraséologie policière transpire dans le commentaire. Le reportage dit « Ils avaient une épicerie tapie dans l’ombre » [une sentence aujourd’hui détournée par des cartes postales, en vente dans l’épicerie de Tarnac, NDLR]. Puis les mis en examen, les proches, et les comités de soutien s’organisent et développent leur discours, que certains ont qualifié d’innocentiste, et qui va supplanter le premier. Une raison à cela: dans les journaux, au Monde, à Libération comme à Mediapart, par exemple, c’est une question d’hommes, de journalistes, de rivalités. Comme ce sont des titres où la contestation interne peut s’exprimer, ça s’exprime aussi dans leurs pages.

Pourquoi de nombreux journalistes ont-ils immédiatement adhéré à la thèse policière ?

Il faut comprendre la propagande de départ. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie « travaille » alors les rédactions depuis longtemps pour les convaincre de l’existence d’une résurgence de la violence ayant pour origine une nouvelle extrême gauche, qui prendrait son origine dans les mouvements anti-CPE. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie a demandé à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) puis à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de monter des dossiers sur ce thème.

Ceux-ci étaient présentés et débattus lors des fameuses réunions du jeudi soir de la place Beauvau [révélées par le livre de David Dufresne, NDLR], des réunions uniquement consacrées à l’anti terrorisme et réunissant les patrons de la police. Joël Bouchité, de la DCRG et Bernard Squarcini de la Direction de la surveillance du territoire (DST, bientôt transformée en DCRI, NDLR) y participent.

La ministre est présente, prend des notes, elle est très attentive et exigeante. J’ai rencontré un certain nombre de participants à ces réunions. Les chefs de la police étaient impressionnés par MAM. Sur le mode: on ne contredit pas un ministre! En outre, en matière d’antiterrorisme, la DCRI va alors être créée, chacun doit prendre un « créneau », c’est le terme employé par plusieurs policiers, devenir légitime dans une spécialité. Bouchité voudrait prendre l’extrême gauche et la contestation radicale tandis que Squarcini ne prendrait que les islamistes.

Ces enjeux de pouvoir et de légitimité créent des effets de loupe considérables sur les sujets qu’ils abordent. Comme par exemple le rapport de juin 2008 du ministère de l’Intérieur, brandissant quasiment le retour d’Action directe. Tout le scénario de l’affaire de Tarnac est préparé dans ce cadre. Et les contacts du ministère dans les médias font le reste. En entretien, Squarcini m’a confié : « pour nous le groupe de Tarnac c’était un pot de feu qu’on laissait mijoter ». Il y a aussi Alain Bauer, le consultant en sécurité de l’Élysée, qui vient d’acheter « L’insurrection qui vient » [un essai politique attribué au groupe de Tarnac, NDLR]. Il lui accorde beaucoup d’importance. Un tel homme d’influence, qui a l’oreille du président, en parle à des amis journalistes. Il en remet aussi un exemplaire à un Frédéric Pechenard, le directeur de la police nationale.

Au moment de l’interpellation du groupe de Tarnac, largement médiatisée, les esprits ont déjà été préparés, mais comment cette mise en condition s’exerce au moment ultime ?

L’enquête préliminaire est ouverte en avril 2008. Au mois de novembre, elle n’est pas encore bouclée. Mais arrive la nuit du 7 au 8 novembre durant laquelle des voies ferrées font l’objet d’actes de vandalisme. Ça fait l’ouverture dans les journaux de 20 heures. L’Élysée s’informe et appelle le Ministère de l’Intérieur, qui appelle les services de sécurité, comme toujours lorsqu’un sujet sécuritaire occupe l’espace médiatique. Certains, dans ces services, veulent attendre. Mais le pouvoir politique exige une réponse médiatique. La Sous direction antiterroriste chargée de l’enquête de terrain voudrait peaufiner ses investigations en prolongeant la surveillance.

Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur évoque des SMS de journalistes: la place Beauvau craint alors les fuites. Le pouvoir exécutif choisit le 11 novembre pour bénéficier d’une caisse de résonance énorme, l’actualité étant essentiellement occupée par les commémorations ce jour-là: c’est une constance, en France, le 11 novembre, depuis 1918, il ne se passe rien! À 6h du matin, 150 policiers investissent Tarnac et débutent les perquisitions dans les différents corps de ferme. À 8h32, les perquisitions sont en cours mais déjà un communiqué du ministère de l’Intérieur annonce triomphalement l’opération. Vers 10h un journaliste de France 3 arrive de Limoges, passe les barrages et réalise des images, très fortes, violentes, avec des policiers en cagoule surarmés, alors que l’opération est toujours en cours.

Une heure plus tard environ, vers la fin de matinée, Michèle Alliot-Marie organise une conférence de presse dans son bureau alors que la perquisition est toujours en cours. Mais à ce moment-là, les policiers savent qu’ils n’ont rien trouvé quant à d’éventuels préparatifs d’actes terroristes. Trop tard, la machine est lancée. MAM construit une image qui est celle de ces conférences de presse des années 80, au moment des affaires Action directe et du terrorisme en relation avec l’extrême gauche. Moins de deux heures plus tard, Claire Chazal invite Guillaume Pépy, le patron de la SNCF [victime des dégradations, NDLR] qui renchérit sur le plateau de TF1. Le point d’orgue, c’est la Une de Libération du lendemain qui annonce « L’ultra gauche déraille ». Alors que tous les experts s’accordent sur le fait que les dégradations des caténaires ne pouvaient pas provoquer le moindre déraillement. Toute cette construction médiatique de la place Beauveau a permis de convaincre de l’existence de cette menace terroriste là. Enfin, le lundi matin, l’Assemblée nationale acclame MAM d’une standing ovation. Le film parfait.

Comment cette croyance est-elle balayée puis remplacée par une autre ?

Les gens de Tarnac se sont mis à parler, ils ont signé des tribunes, produit un discours. Puisqu’ils ont été pointés par les médias, ils répondent par les médias. Dans notre époque, les deux vecteurs d’infamie ce sont le terrorisme et la pédophilie, deux accusations médiatiques a priori indiscutables et dont les personnes visées ne peuvent pas se remettre. C’est pour cette raison, d’ailleurs, précisément, qu’il faut les discuter. Et là, un mouvement de balancier s’opère. Les journalistes qui suivent l’affaire établissent une nouvelle narration: l’histoire devient, grosso modo, la bataille «des méchants flics contre les gentils épiciers». De leur côté, des policiers de base, loin des calculs politiques du début, veulent défendre leur travail. Ils se sentent seuls. Certains sont convaincus de la légitimité de leur travail d’autres doutent – notamment de la qualification de terrorisme des actes délictueux. Et puis une interview de Bernard Squarcini dans Le Point marque un tournant, où le ministère de l’Intérieur tente d’adapter sa narration. Il évoque la notion de « pré-terrorisme », affirme que les services « ne fabriquent pas de dossiers ».

Quelles leçons en tire l’appareil sécuritaire ?

Une gorge profonde m’a décrit avec beaucoup de détails comment fut décidé de lancer des « leurres médiatiques », dès que le vent s’était mis à tourné. Pour elle, ceux qui ont provoqué l’incendie ont subi un retour de flamme. Il fallait éteindre l’incendie en tentant de justifier a posteriori cette dérive. Par exemple en organisant diverses arrestations dans les mois suivant pour entretenir le doute, taire les critiques, alimenter les journalistes amis aussi.

À ce titre, j’ai mieux compris pourquoi Bernard Squarcini m’a longuement reçu pour ce livre. Nos rendez-vous faisaient partie des consignes pour tenter de dégonfler l’affaire. Aujourd’hui, beaucoup de policiers me disent que depuis ils ne veulent plus toucher à l’extrême gauche, car ses membres auraient trop de relais dans la presse. Les flics disent, à la fois tétanisés et rigolards: «les autonomes, c’est fini, on ne peut pas les fliquer tranquille.»


Photographies à l’Hipstamatic et portrait via David Dufresne, crédits (D.R)
Couverture réalisée par Ophelia Noor pour OWNI /-)

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Terroriste, mais pas (vraiment) coupable. http://owni.fr/2009/04/29/terroriste-mais-pas-vraiment-coupable/ http://owni.fr/2009/04/29/terroriste-mais-pas-vraiment-coupable/#comments Wed, 29 Apr 2009 04:58:58 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=586 Je suis une terroriste. Je n’en avais pas vraiment conscience car, jusqu’à la lecture de cet article, le terrorisme, à mes yeux naïfs de classe moyenne parisienne, c’était « des actes graves de violence dirigés contre la vie » (Convention de Strasbourg 1977)  et des crétins enrhumés par des fanatiques qui ne piégeaient pas que leur cadavre. Mais, fort heureusement, la justice de mon pays m’a ouvert les yeux. Au terme de l’article 421-1 du Code Pénal, l’acte terroriste n’a pas besoin d’être commis, il suffit, par une appréciation purement subjective de notre amie aveugle (parfois) la Justice, d’avoir l’intention de (cf loi du 13/02/08)…  Je suis coupable. En tout cas, ma bibliothèque et un faisceau d’indices capillotractés le prouvent.

Examinons ensemble les preuves  avant que je ne fasse un autodafé salvateur dans mon salon (Si vous croyez que je suis prête à subir 6 mois de détention pour des livres que j’ai déjà lus !).  D’abord, je pensais qu’un terroriste se reconnaissait au moins à son horreur de l’épilation ou à son couteau entre les dents, ce qui, de fait, m’excluait. Or, Marc Sageman m’a fait comprendre mon erreur : le commun des mortels et un terroriste ont énormément de ressemblance, comme qui dirait qu’ils sont identiques ( sauf quand on les radiographie ). Je suis fille de classe moyenne, classe moyenne moi-même, éduquée, diplômée, avec une prédilection pour les sciences humaines et une tendance à préférer en matière d’enveloppe à glisser dans une urne,  ma main gauche à ma main droite. Les points d’achoppement entre ma biographie et celle de Julien Coupat vous sautent aux yeux n’est ce pas ? De plus, du plateau de Millevaches à ceux du Larzac dont je suis originaire, il n’y a qu’un pas, Michèle Alliot Marie vous le dira. Mais, l’indice essentiel, si Hadopi ne prend pas encore possession de mon ordinateur, reste ma bibliothèque. Lors d’une perquisition, la SDAT ( sous direction de l’anti-terrorisme) y aurait trouvé : l’intégrale de Marx, Bakounine, Tchakhotine et Proudhon, mais aussi du Agamben et du Baumman et évidemment tout Sade. J’avais jusqu’alors aux yeux et à la barbe de tous mes  visiteurs, pêle-mêle, La Grande Famille de Jean Grave, une biographie de Louise Michel et autres incitations à la violence, telle qu’Aragon, Rimbaud  ou Léon Bloy. J’avais même un exemplaire de Mein Kampf, que je brûlerai en premier de peur de me faire taxer d’antisémitisme, en plus de terrorisme d’ultra-gauche. Et au centre, trônait L’homme Révolté de Camus dont j’avais fait mienne son inversion du cogito cartésien « Je me révolte donc nous sommes. Et nous sommes seuls. » Sachant que le terrorisme se classifie selon deux échelles, l’une de destruction, l’autre de propagation, et  sachant que j’ai prêté beaucoup de ces livres (mais jamais à Alain Bauer  qui lui, a la même bibliothèque que moi, mais lui c’est pour son travail de conseiller de MAM), les considérant comme une base à la culture classique et à la réflexion critique, je suis bonne, pour la taule, le gnouf… Pire, j’ai des circonstances aggravantes… J’ai « updaté » ma bibliothèque.

Curieuse coïncidence, face à l’émergence de cet ennemi intérieur  j’ai pu acheter dans les 6 derniers mois, en vente libre, en cherchant un peu, dans une grande enseigne qu’on peut taxer à 5.5% de tout, sauf de tendance anarchiste ( à part peut être dans son rayonnage, mais je m’égare..) trois ouvrages qui me classent définitivement parmi les tenants de l’action directe :  Le cheval blême de Boris Savinkov, De A à X de John Berger, Le week-end de Bernard Schlink,  . Tous posent la seule véritable question ainsi formulée par Camus ( encore lui !) : « le seul problème moral vraiment sérieux, c’est le meurtre ».  

Savinkov était lui-même un terroriste, l’Histoire lui doit notamment l’attentat qui coûta la vie au grand duc Serge, le 4 février 1905, la France l’a accueilli en exil, et il inspira notamment Lukàcs. Le cheval blême, sous titré journal d’un terroriste, tire son titre de l’Evangile, c’est vous dire combien la morale est présente. Existe-t-il une foi en l’homme si supérieure que l’on puisse enfreindre ce commandement ? Peut-on vouloir à ce point que la cité des hommes devienne celle de Dieu sur cette terre ? Savinkov le croyait, mais pas sans doute. On ne résout pas si facilement l’antinomie du bien et du mal. Pourtant, la première évidence, celle de la révolte, mène au combat, à l’action directe, et à se condamner dans cette vie, et dans l’autre possible, pour le bien des autres. Même Churchill ( encore un anarchiste ! ) a admiré la pureté et l’inspiration dostoievskienne de ce court texte.

Et une fois, l’acte terroriste commis et que l’on est pris, condamné et enfermé ? John Berger a imaginé la correspondance entre Aïda et Xavier, elle condamnée à l’attendre, lui enfermé pour terrorisme. « A Toi je dis OUI ; à la vie que nous avons à vivre je dis NON. Pourtant je suis fière de cette vie, fière de ce que nous avons fait, fière de nous. »  lui écrit-elle. Aïda et Xavier se parlent avec l’érotisme de l’absence et la foi en eux des  utopistes. Mais A et X nous parlent, sans détour, de leur vision d’un monde qui s’écroule autour du veau d’or du dieu des 4 M : Marché, Mondialisation, Média et Morale.

Et si, comme Jean-Marc Rouillan , après avoir purgé sa peine, l’on pouvait être libéré ? Jörg, protagoniste du Week-end  est dans ce cas. Face à sa famille et ses amis, tout au long d’un éprouvant week-end, il se cramponne à ses idéaux, ses justifications, quand tous le confrontent à l’horreur humaine de l’acte. Ce qu’ils attendent de lui, c’est plus qu’une explication : ils comptent sur ses remords. Eux ont eu le temps de changer, de sacrifier à la vie, petit à petit leurs idéaux de jeunesse. Pour eux « fighting for peace is like fucking for virginity ». En lui, reste toujours vivace l’innocence que confère le droit à la révolte, jusqu’à se rendre insupportable à lui-même et inaccessible au pardon.

En trois ouvrages récemment publiés et en vente libre, j’ai acquis un manuel de vie du parfait terroriste. Et pour passer à l’action directe, j’aurai obtenu par le biais de circuits secrets et étrangers (allemands évidemment )  des aiguilles à tricoter  qui me permettraient de torturer en effigie des poupées que j’aurai nommées UTOPIE, OPINION, et ESPRIT CRITIQUE …Mais finalement, je vais préférer brûler mes livres et tricoter une belle poupée que j’appellerai CONSENSUS , en oubliant ce  que j’ai lu chez Robert Merton  c’est à dire que ce ventre mou peut aussi mener au crime.

 

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