OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Dépendance financière : après les retraités et si on parlait des jeunes ? http://owni.fr/2010/11/16/dependance-financiere-apres-les-retraites-et-si-on-parlait-des-jeunes/ http://owni.fr/2010/11/16/dependance-financiere-apres-les-retraites-et-si-on-parlait-des-jeunes/#comments Tue, 16 Nov 2010 09:46:24 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=37171 Des lycées bloqués aujourd’hui, l’Université hier et le CPE avant-hier. On continue la chronologie ou c’est suffisant ? Ces mouvements entrainent dans la rue quelques milliers de jeunes, étudiants, lycéens. Crier leur colère, leurs désillusions et leur envie de reconnaissance.

A l’heure où le 5ème risque (coût de la dépendance des personnes âgées) parait plus important que les conditions précaires dans lesquelles peuvent vivre une partie des jeunes, moi ça m’effraie. Car les années estudiantines sont sensées être nos plus belles années alors que nous vivons dans un climat de crainte face à l’avenir. Quel étudiant pourra dire que son diplôme l’amène à un boulot des plus épanouissant ? Que penser de cette galère et de cette course aux bourses, aux petits boulots pour financer ses études au détriment de ces dernières ?

Adulte plus tard car dépendant plus longtemps

L’entrée sur le marché scolaire d’une foule d’élèves dans les années 80, l’objectif d’emmener 80% d’une classe d’âge au bac [1] (et non 80% de réussite au bac !), l’allongement de la scolarité depuis les années 1960, le contexte économique difficile qui ne date pas d’hier et les craintes de la « jeunesse » de ne pas trouver de travail à la sortie de leurs études amène à une redéfinition de la question « qui sont les jeunes aujourd’hui ? ».

Tout d’abord, ils sont plus vieux que ceux d’hier, vision purement logique du problème, on assiste à une désynchronisation et à un report des seuils d’entrée dans l’âge adulte [2]. Être adulte aux yeux de toute une société, c’est pouvoir s’assumer matériellement. Or, les jeunes subissent une double dépendance : étatique et familiale. S’en débarrasser pour être un adulte à part entière, respecté en tant que tel, maitre de ses décisions et libre de ses choix personnels (sans parler de la dimension psychologique) relève du parcours du combattant.

Alors pourquoi parcours du combattant ? D’une part, les aides de l’Etat sont indexés sur la situation familiale, par le biais entre autres des bourses et des allocations jusqu’à 20 ans. Quid des étudiants en rupture avec leur parent ou dont le lien est fragile, à tel point que demander une aide financière devient en soit difficile ? De ce point de vue, le jeune « presqu’adulte » est considéré comme dépendant. Mais de l’autre, l’Etat verse directement une allocation logement aux étudiants, conditionnée par le montant de leurs propres ressources. Ici en revanche, il est adulte. Un âge mais deux définitions.

Logement : rester l’enfant ou risquer l’indépendance

De plus la majeure partie des frais de scolarité (à titre indicatif, plus de 400 euros pour un master, avec la Sécurité Sociale), et parfois des frais annexes, incombent à la famille et obligent soit à rester au domicile parental (où le jeune demeure « l’enfant»), soit une dépendance financière au niveau du logement (le jeune est un adulte infantilisé par nécessité). Ici encore, l’étudiant est assis entre deux chaises, position somme toute assez inconfortable.

Il y a « tension entre la volonté de suivre la norme de l’indépendance du jeune adulte et la nécessité d’être pris en charge financièrement pour pallier au manque de ressources nécessaire à une indépendance totale [3]».

Alors certes l’accès à l’indépendance par la décohabitation se retrouve dans les milieux aisés. En revanche dans les milieux les plus modestes, partir de chez soi implique un travail salarié à côté des études. Même pas la peine pour les BTS et IUT ! Quant à la fac, le travail en dehors reste encore vecteur d’abandon, et ce dès la première année… On peut aussi tout abandonner et faire œuvre d’une « sortie précoce sans filets [4]», trouver un travail qui ne correspondait pas à nos idéaux premiers. Je ne parle bien sûr pas de « devenir princesse »… c’est pas le même type d’idéal.

Alors ces jeunes, là dans la rue, se rendent-ils compte du décalage entre leurs désirs (hétéro-normés ça va de soi !) et les possibilités réelles. Non ?

(le titre est une citation de Louis Gruel et Claude Grignon, à retrouver dans l’enquête de l’Observatoire de la Vie Etudiante de 1999)

[Mise à jour le 21 octobre]: à lire cette semaine dans la presse: l’excellent dossier desInrockuptibles n°777 « Le président anti-jeunes » et Libération du 21 octobre « Jeunes. Pourquoi ils se révoltent »
[1] Je vous conseille l’excellent livre de Stéphane Beaud 80% au bac et après, les enfants de la démocratisation scolaire , Editions La Decouverte, 2003
[2] Olivier Galland, Un nouvel âge de la vie, Revue française de Sociologie, 1990
[3] Cecile Van de Velde, La dépendance familiale des jeunes adultes en France. Traitement politique et enjeux normatifs, ouvrage collectif, Serge Paugam, Repenser la solidarité, l’apport des sciences sociales, Paris, PUF, coll. Le lien social, 2007.
[4] Michel Bozon et Catherine Villeneuve-Gokalp, 1995, L’art et la manière de quitter ses parents, Populations et Sociétés, n.297.

Article publié initialement sur le blog Regardailleurs sous le titre : « Devenir étudiant, c’est presque toujours, devenir économiquement assisté ».

FlickR CC Antoine Walter ; Valco.

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Les nouveaux fonds de pension, la face cachée de la réforme des retraites http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/ http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/#comments Sun, 31 Oct 2010 08:55:54 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=34225 Ce billet a été publié originellement sur OWNIpolitics, écrit par Sylvain Lapoix et Ophelia Noor.


Vendredi 21 octobre, la réforme des retraites a été adoptée de nuit au Sénat. Poussée en urgence par le gouvernement, elle dissimule une poignée d’amendements qui n’auront été débattus que quelques minutes au Palais du Luxembourg et pas même évoqués à l’Assemblée nationale, où les débats n’ont jamais atteint l’article 32 sur lesquels ils portaient. Et pourtant, ces quatre amendements consacrent la nouvelle place de la retraite par capitalisation dans le système français d’assurance vieillesse. En un vote, la porte a été entrouverte aux banques, assurances et instituts de prévoyance pour se servir dans les 7,983 milliards d’euros de participation distribués en France, selon la Dares.

Ce merveilleux mécanisme a été inscrit à l’article 32 ter (l’avant dernier article de la loi) : il prévoit que, sauf opposition formelle du salarié, la part non utilisée de sa participation sera automatiquement versée sur un produit épargne retraite en entreprise (Perco ou Pere). Et si une société a doté certains salariés de retraites chapeaux (autrement dit, si vous êtes dans un grand groupe), le 32 quinquies l’oblige à faire signer des plans d’épargne retraite pour tout le monde ! Enfin, le 32 bis permet de puiser dans son compte épargne temps ou ses RTT non utilisés (à concurrence de 5 jours par an) pour abonder les produits d’épargne retraite.

Comme résumé par le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur en séance :

Ce que vous mettez en œuvre après le Perco, chers collègues de la majorité, c’est une épargne retraite obligatoire, avec des négociations obligatoires, des décisions obligatoires, au niveau tant de l’intéressé que de l’entreprise et de la branche. Il s’agit de créer un « tuyau » qui flèche, de manière évidente, la participation vers l’épargne retraite obligatoire.

Tout ça mais avec un peu de retard : les lobbies le demandaient déjà en 2003 quand François Fillon a posé les premiers jalons de ce glissement du système vers la capitalisation.

Perco, Perp et Pere, les trois cavaliers de la capitalisation

L’apparition des premières lois permettant la souscription de produits d’épargne retraite a en fait la même origine que le recul de l’âge de départ : le déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. En 1993, la réforme menée par Edoudard Balladur donnait la possibilité aux salariés de souscrire à de tels contrats, en même temps qu’elle modifiait le calcul des pensions (basculement des 10 au 25 meilleures années dans le privé, etc.).

Le débat sur la crise du système de retraite par répartition et le risque de diminution des pensions est déjà là. Mais c’est la « loi Fillon » du 21 août 2003 qui instaure officiellement des « plans d’épargne collectif », version française et euphémistique des « fonds de pensions » décriés de toutes parts. Le Pere (assurance vie collective) qui existait déjà, peut désormais être abondé par le salarié directement. Le Perp (plan d’épargne retraite individuel) fait son apparition. Mais c’est surtout le Perco qui marque un tournant: sur le modèle des produits à « versement défini » (type 401k américain), il expose les salariés au risque des marchés, protège l’employeur et le prestataire d’assurance. A mots couverts, les fonds de pension font une entrée fracassante dans le système français.

Aidé par des dispositions qui facilitent et encouragent l’usage du Perco, celui-ci connaît de belles années : malgré la crise financière de 2008, son encours grimpe de 63% en un an pour atteindre 3 milliards d’euros au 31 décembre 2009. Mais pour les assureurs, le résultat est insuffisant. Insuffisant comparé aux 230 milliards des régimes obligatoires et aux 1300 milliards de l’assurance vie. Les lobbies ne cachent pas leur mécontentement : au 1er juin 2009, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) juge durement la réforme Fillon qui « n’a pas eu les résultats escomptés ». Le rendez-vous est clairement fixé à 2010 pour une « refonte totale » du système. Les arguments sont déjà tout prêts, collant aux éléments de langage du gouvernement : la capitalisation ne permet-elle pas de nous « éviter de reporter le financement du déficit sur les générations futures » ? Si, bien sûr : elle a même permis à certains sexagénaires britanniques de reprendre leur propre destin en main en se remettant au travail.

Et, le 26 mai 2010, dossiers plastifiés sous le bras, Jean-François Lequoy, Patrice Bonin et Gilles Cossic, représentants de la FFSA s’avancent « comme trois Monsieur Sylvestre de la World Company », raconte Martine Billard, député du Parti de Gauche. Après un long exposé sur la « nécessité de simplifier » les produits déjà en place,

Le délégué général de la FFSA, Jean-François Lequoy, juge « intéressant que ceux qui ont d’abord souscrit une assurance vie aient la possibilité de la reflécher (sic !) au bout de huit ans vers un objectif de retraite. »

Un système que la FFSA propose d’encourager par des exonérations fiscales de 10 à 20% de la rente. A cette demande, Pierre Méhaignerie, président UMP de la Commission des affaires sociales qui les reçoit « saute de sa chaise » : « Je m’oppose catégoriquement à toute nouvelle dépense fiscale dans le contexte financier actuel », tonne-t-il suivi par le rapporteur, Denis Jacquat. Les assureurs continuent d’égrainer leurs propositions et repartent leurs dossiers plastifiés sous le bras.

L’article 32 ou l’attaque de nuit de la diligence des retraites

Mais les argumentaires n’ont en fait pas vraiment quitté la salle. En juillet, quand l’amendement de commission numéro 29 arrive au débat en commission, Martine Billard s’écrie : « c’est la proposition de la Fédération française des sociétés d’assurance, qui se trouve page 219 du rapport d’information de la commission ». Sous le texte du député Yanick Paternote, une proposition des assureurs pour « fluidifier » l’épargne : la possibilité de sortir son épargne retraite pour acheter ou réparer sa résidence principale, idée qui prive un peu plus ce produit de sa fonction de sécurité pour le transformer en produit bancaire comme un autre. Retoquée par le rapporteur, l’amendement fait l’objet d’un commentaire étonnant du ministre, qui souligne qu’il « mériterait d’être examiné dans le cadre du projet de loi de finances » et non dans la réforme des retraites. En clair, Eric Woerth reconnaît que cet amendement est un cavalier, un texte sans rapport glissé là pour être adopté en toute discrétion. Celui-là est retiré. D’autres non.

Laurent Hénart, rapporteur UMP du texte, propose ainsi les amendements répondant aux demandes des lobbies : possibilité de versement des RTT sur les produits épargne retraite, participation non utilisée « fléchée » vers le Perco, ouverture des droits au Perco pour les TPE-PME…

« C’était toutes les demandes de la FFSA », lance Roland Muzeau en Commission.

Sa colère se perd dans la précipitation : du fait de la procédure d’urgence, le débat en séance s’interrompt avant même d’arriver à l’article 32 qui les contient : les députés votent tout, d’un coup, et passent le texte au Sénat.

Là, d’autres élus prennent le relais, notamment Isabelle Debré qui dépose sept amendements qui visent à généraliser l’information sur les produits d’épargne retraite, autoriser le versement de la prime d’intéressement sur le Perco… Bref, à inciter entreprises et salariés à choisir ces solutions de « complément retraite ». Le tout défendu avec des arguments proches de ceux des lobbies des banques et assurances : « En outre, il est important de souligner la nature d’épargne de dispositifs qui peuvent permettre d’améliorer le montant futur des pensions de retraite. » « Peuvent permettre », une précaution utile : dans le doute que ces fonds de pension puissent ne pas être rentables, rendons-les obligatoires. Dans l’hémicycle, le débat arrive bien tard mais ne freine en rien l’adoption du texte : vendredi 21 octobre, le séance se ferme sur un vote unique demandé par le gouvernement.

De nouvelles niches fiscales où dorment des loups

Le coup avait été préparé de longue date. Malakoff Médéric, avec l’aide du CNP, a ainsi fondé la filiale Sevriena pour couvrir ce nouveau champ de prospective. Une initiative dont la Caisse des dépôts et consignation a étrangement décidé de se retirer avant l’été. Mais cette entreprise est loin d’être la seule à se frotter les mains : banques et assurances préparent déjà leurs stratégies pour capter ce nouveau marché. Au lendemain de l’adoption de la réforme par le Sénat, BNP Paribas lançait son site La retraite en clair.fr pour ses clients ayant des question « sur le système des retraites actuel et à venir » notamment « sur le montant de sa pension future » et « les moyens à mettre en œuvre pour compléter ses revenus » (sic !).

De leur côté, les entreprises y trouvent aussi leur compte : défiscalisés, les versements sur les produits d’épargne retraite sont de bons deals. « Plutôt que de verser 100 en salaire qui lui coûte 140 et rapporte 60 au salarié, il est plus avantageux pour l’entreprise de verser 100, qui lui coûtent autant et rapportent la même chose au salarié », résume Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE. Le problème, c’est que tout ça se fait aux dépends de la Sécurité sociale, les sociétés préfèrent cotiser pour leurs salariés que pour le système général : on bascule de la solidarité nationale et inter-générationnelle à la solidarité d’entreprise.

Du côté des syndicats, la posture est difficile à tenir : bien qu’opposés au principe de retraite par capitalisation, nombreux sont les délégués du personnel qui signent les accords Perco en échange de la promesse de la direction de verser de l’argent en complément de celui amené par les salariés, comme chez GSK, exemple présenté dans une enquête du site Miroir social, où le laboratoire proposait d’abonder à 300% les sommes apportées par les salariés. La confusion est entretenue par les termes employés : cette « épargne retraite », présentée comme un simple placement, fonctionne bel et bien selon le principe des « fonds de pension » et de ce fait, rogne sur le système par répartition.

Or, au delà des amendements retenus par la loi, les propositions avancées par les lobbies laissent entrevoir la prochaine étape : la proposition de la FFSA de verser l’assurance vie sur l’épargne retraite ou celui consistant à pouvoir retirer de l’argent de son Perco pour acheter ou rénover un logement transformeraient, à terme, ces outils de prévoyance en simples produits bancaires spéculatifs. L’hypothèse de la fusion entre assurance vie et assurance vieillesse complémentaire dans un produit d’épargne hybride hyperdisponible apparaît même comme « vraisemblable » à plusieurs chercheurs.

Bref, « la retraite supplémentaire par capitalisation n’est plus un sujet tabou, » comme le disait le député en charge du rapport sur l’information sur l’épargne retraite de 2003. Un certain Eric Woerth…


Pour compléter cet article, nous vous recommandons l’excellent dossier de notre consoeur Emmanuelle Heidsieck sur le site d’information Miroir social, qui a constitué le point de départ de notre enquête :

Photo FlickR CC : Maxi Walton ; Richard Ying ; Keene Public Library ; copie écran du site La retraite en clair.fr.

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