TF1, NRJ, CBS, Channel 4, The Times, New York Times, Le Figaro, Die Welt, etc., ces marques ne règnent plus sur la planète média. En quelques années, d’autres acteurs ont capté plus d’audience, se jouant des frontières, des langues, et des modes de fonctionnement. Ce sont les Massive Media.
En fait, on n’avait pas rien vu venir. La signification profonde était restée incomprise, car les liaisons avec les concepts usuels n’étaient pas encore établies. Puis, maintenant que cela vient heurter notre pratique du quotidien, l’image en devient instantanément plus nette. Les médias classiques ont cru qu’il ne s’agissait que d’une petite lame, une vague un peu forte, mais les fondations n’étaient pas atteintes. C’est faux. Pire, il y a là une erreur totale. Fini, les médias, place aux Massive Media. Pourquoi en anglais ? Parce qu’ils sont nés là-bas, il faut le reconnaître. Et Massive, mais pour cela pas besoin de plus d’explications, cela tombe sous le sens.
L’histoire débute avec une affirmation d’un autre temps. Pour prendre la défense des chaînes de télévision, et plus particulièrement des fleurons du petit écran, celles dont les audiences sont au-dessus de la moyenne, il est d’usage d’affirmer que l’internet n’est pas fédérateur. Au sens où regarder une chaîne de télévision, tous, au même moment, à une heure de grande écoute, l’est. Il est vrai qu’Internet n’est pas un média, en ce sens. Il ne captive pas des millions de personnes devant un programme donné, et ceux qui ont tenté cette expérience n’ont eu que des chiffres pitoyables à présenter.
Pourtant, Internet est fédérateur, comme jamais la télévision, ou la radio, ou la presse ne l’ont été et ne le seront jamais. Sur internet, on se rassemble devant un protocole, pas une chaîne. C’est plus massif. Et justement cela s’adresse aux masses. Facebook, Google, Twitter, YouTube, Daily Motion sont des Massive Media.
Les chiffres sont vertigineux. 330 millions d’utilisateurs pour Facebook ; une croissance de plus de 100% pour Twitter, ou encore les milliards de vidéos distribuées par YouTube. Voilà qui appartient déjà à une autre sphère. Incomprise, décriée parfois, mais qui n’est plus à nier. Il n’y a plus qu’à attendre que les autres s’écroulent enfin, et que leur pouvoir de nuisance s’effondre aussi. Entendez par là, que les vieux médias ont encore pour eux l’affection des annonceurs et de leurs agences conseils. Cela ne devrait plus durer trop longtemps.
La force de ses massive médias est de réussir à résoudre l’équation des infinies. Ils sont à la fois globaux, mondiaux, immédiats, continues, mais aussi personnels, locaux, à la demande, asynchrones, etc. Leur géométrie n’a plus aucun point commun avec ceux de la génération précédente. Leur mode de dissémination est, elle aussi, hors normes. Ils ne font pas de publicité, ou très peu. Pas de promotion, ni même d’auto-promotion, ou encore très peu – d’ailleurs la sortie des spots publicitaires pour Yahoo ! en dit long sur le retard pris par ce portail, sans parler dans un autre registre des tentatives d’Orange ou SFR de mettre en avant leurs propres services.
Caractéristiques intéressantes, ils réinventent à chaque fois qu’un nouveau Massive Media émerge ce qu’est le Massive Media. Ainsi, il n’existe pas de matrice continue entre Twitter et Facebook, et encore moins Google. La grammaire des sites est différente, le but aussi, bien qu’ils soient abusivement décrits tous comme des médias sociaux. Ce n’est qu’une petite part de leur nature. Les ponts existent en revanche. Ils sont indispensables, au nom de la sacro-sainte interropérabilité horizontale, dont nous avons déjà tracé les grandes lignes.
Néanmoins, il semble qu’après un certain temps, l’un finisse toujours par supplanter les autres. On l’a vu avec la fin programmée de MySpace, incapable de réagir à la montée en puissance de Facebook. Car, en définitive, il n’y a pas concurrence, mais vol d’utilisateur. Il n’y a pas zapping, pour reprendre une analogie avec l’ancien monde, mais rapt. Utiliser un protocole requiert une adhésion, un moment de la vie.
Cela rend, encore une fois, la prédiction bien difficile et hasardeuse. Ainsi, il n’est pas suffisant de vouloir concentrer les Massive Media dans un meta-Massive Media pour réussir le coup parfait. FriendFeed en est la plus parfaite illustration. Il n’est pas non plus pertinent de vouloir faire mieux, en améliorant tel ou tel point, ou aspect et fonctionnalité, comme avec Pownce, ou un autre.
Dans le même registre, Twitter est un aboutissement. Facebook est un aboutissement. Entre YouTube et Daily Motion, la différence est plus succincte, c’est juste, mais la bataille n’est pas terminée. Ces deux sites ne seraient pas à proprement parler des Massive Media. Ils sont une transition entre Google et autre chose qui est encore à définir, et reste finalement à inventer. Fermons cette parenthèse.
Le Massive Media parle de nous. A une nuance près. Il n’est pas un artefact de foule, mais le rassemblement dans une dimension virtuelle de singularités inédites. Et bien souvent leur rapport avec un existence réelle, entendez par-là, hors du monde virtuel, n’est pas une obligation ; les identités virtuelles, celles dont on se sert sur le Massive Media, ne sont pas un corollaire d’un état civil, d’une appartenance à une nation, ou à une culture. Cela explique en grande partie l’effroi des politiques lorsqu’il s’agit de réglementer, surveiller ou punir les agissements sur les Massive Media. D’ailleurs, sans aller jusqu’à faire de la politique fiction, il faudra tout de même bien un jour que soit posée la question des frontières du virtuel. La création d’une géographie ad-hoc devra forcément passer par une remise en cause des délimitations actuelles – repenser à ce sujet l’affaire Twitter en Iran.
A suivre …
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