[Suite de notre enquête sur la biologie de synthèse. Retrouvez ici la première partie]
Ici la biologie de synthèse est appliquée, on l’appelle biologie industrielle.
Marc Delcourt, co-fondateur, avec Philippe Marlière, de la jeune entreprise, est assis à son bureau.
Après la porte d’entrée, posée sur une table, une statuette translucide rappelle l’entrée en bourse récente de Global Bioenergies. “Un succès”. La start-up a pu lever des fonds pour financer sa recherche, tournée vers “la création de procédés industriels qui visent à convertir des ressources végétales en production énergétique”. C’est-à-dire produire à partir du sucre, par voie biologique, une des plus grandes molécules de la pétrochimie, l’isobutène. Extraite du pétrole elle est utilisée pour faire du carburant, des plastiques, des textiles, des pneus…
“A l’heure actuelle aucun micro-organisme ne produit naturellement cette molécule, c’est notre défi. Nous avons crée de toutes pièces une voie métabolique qui permet de convertir le sucre en isobutène lorsqu’elle est implantée dans des micro-organismes. C’est une des façons de faire de la biologie de synthèse. Nous n’avons pas crée une bactérie entière mais une voie métabolique qui a une action et une utilité industrielle.”
Dans le laboratoire distribué par le couloir, Macha Anissimova, biochimiste en blouse blanche, fait la démonstration. Elle ouvre un congélateur, attrape un tube de plastique haut de deux centimètres. ” Il contient plusieurs milliers d’exemplaires d’un même gène, et cela ne pèse que quelques nanogrammes. On les solubilise en les mélangeant dans de l’eau, on peut alors les introduire dans un micro-organisme dont on a rendu la membrane perméable. Et pour faire proliférer les micro-organismes on les fait fermenter au chaud, les bactéries poussent entre 30 et 37°. On fait ça tous les jours.”
Après les agitateurs, qui mélangent mécaniquement, à rythme constant et par dizaines les tubes à essai, le fermenteur. “Là nous sommes à la frontière entre recherche et développement”. A l’intérieur de la cuve en verre d’un litre, les bactéries évoluent en milieu nutritif, une solution sucrée. Le processus biologique à l’œuvre reste absolument invisible à l’œil nu : cinq grammes de ces micro-organismes devraient permettre de produire 30 grammes d’isobutène, transformables en autant d’essence.
La chercheuse ajoute :
En général, on a les premiers indices que les manipulations fonctionnent au bout d’un an. Mais c’est un organisme vivant, on n’est jamais à l’abri des surprises.
Elle a assisté à la création de Global Bioénergies et glisse dans un sourire “on est partis de rien, maintenant c’est une société cotée en bourse, c’est un rêve scientifique”.
L’entreprise emploie une vingtaine de chercheurs, la moyenne d’âge est jeune, et l’avenir plein de promesse.
Le PDG reprend : “Le procédé marche en laboratoire et à faible niveau. Nous travaillons à l’augmentation de son rendement. L’idée est de créer une usine pilote puis des usines de taille industrielle. Nous aimerions aussi répliquer ce succès à d’autres molécules de l’industrie pétrolière.
L’idée est de pouvoir convertir des ressources agricoles, le sucre, l’amidon de canne et de betterave, de maïs, de blé, de seigle, de riz puis les déchets agricoles, les déchets forestiers, et de nouvelles plantes qui sont au centre de cette nouvelle agriculture à vocation énergétique qui se met en place”.
Un œil tourné vers la boîte de réception de sa messagerie électronique il ajoute : “Les premiers tests à l’échelle industrielle devraient être menés avant 2014. Nous n’allons pas nous limiter à la France, nous considérons que notre marché est mondial. Nos principaux concurrents sont aux États-Unis. Ils ont beaucoup de moyens et il y a une course pour déposer les brevets”.
Mais brevets, progrès de la technique et de la science, et découvertes d’autres mondes possibles ne convainquent pas tout le monde, loin de là. En s’emparant du vivant, qu’elle entend améliorer, la biologie de synthèse dérange. Quid d’éventuelles disséminations, qui a la charge de ces constructions chimériques, à qui appartiennent-elles ?
Revient en tête la session de questions-réponses ouverte à la fin de l’audition organisée à l’Assemblée nationale.
Thomas Heams, jeune chercheur et enseignant en génomique fonctionnelle, redingote gris pâle et lunettes larges à monture noire avait inauguré :
Je pose la question aux industriels, sans diabolisation aucune, évidemment : comment vous intéressez-vous à la question de la privatisation de l’effet de certains gènes dans vos constructions de synthèse ?
Le jeune PDG de Global Bioenegies, Marc Delcourt, avait répondu sans ambages : ” Les brevets qui sont déposés ne revendiquent pas le gène lui-même, mais son utilisation dans un certain cadre, donc on ne prive personne d’en faire autre chose. La question de savoir s’il est légitime de réserver un monopole temporaire -de 20 ans, ce qui est un temps très court au niveau industriel- pour permettre l’éclosion de ces innovations me semble assez peu adaptée. Dans notre cas il y a une construction technologique extrêmement aboutie et une innovation qui rentre très clairement dans les canons de la brevetabilité”.
graines de riz
Michel Vivant, professeur de droit à Sciences-Po, où il dirige la spécialité propriété intellectuelle du master de droit économique confirme, un peu gêné : “Dans le cas de la biologie de synthèse, puisqu’on bidouille dans une séquence, le critère de l’invention est respecté. Techniquement, il est possible de la breveter”.
Il précise :
“un brevet c’est donnant-donnant, l’inventeur reçoit un monopole économique qui lui assure un retour sur investissement en contrepartie d’une invention pour la société.”
L’invention, pour être brevetable, doit remplir un certain nombre de conditions : la première, être une invention (sic), et non une découverte. La découverte d’un gène à lui seul n’est donc pas brevetable. Elle doit aussi être nouvelle, susceptible d’application industrielle et non contraire à l’ordre public. Un génome de synthèse est en fait un cas d’école, parfaite illustration d’une invention brevetable.
Le juriste ajoute “Le droit ne brevète pas sur la base d’un jugement de valeur, finalement c’est une question de citoyen, et pas spécialement de juriste. La question devient beaucoup plus politique, mais au vrai sens du terme : que souhaite-t-on ? Est-ce que l’on veut qu’il y ait une constitution de propriété sur de telles inventions?”.
Catherine Bourgain : Pour le fichier des empreintes génétiques, on ne garde pas l’intégralité du prélèvement d’ADN, mais seulement des segments. En France, sept segments étaient sélectionnés initialement, situés un peu partout dans notre ADN. Depuis 2006, on prend 16 à 18 segments, car plus on fait de prélèvements sur une population, plus il faut un nombre important de segments pour réduire au minimum les marges d’erreur (Ces segments d’ADN ont une longueur variable selon les individus. C’est cette longueur qui permet de déterminer les différences entre individus. La probabilité d’avoir deux personnes avec les mêmes séquences est de 1 sur 3 milliards de milliards avec 16 à 18 segments pris en compte.) Ces segments ADN ont deux caractéristiques : ils sont différents d’une personne à l’autre, et ils sont censés être “non codants”, c’est-à-dire qu’ils doivent permettre d’identifier les personnes mais n’apporter aucune autre information.
On revient actuellement sur cette description de l’ADN. Les scientifiques pensaient que certains segments ne servaient à rien, c’est-à-dire étaient “non codants”, mais on se rend compte aujourd’hui qu’on ignorait simplement à quoi ils servaient, et qu’ils peuvent avoir un rôle particulier. Une équipe de chercheurs italiens qui travaillaient sur une maladie génétique rare a fait une découverte par hasard : le segment ADN lié à cette maladie est un de ceux choisis pour le Fichier français des empreintes génétiques (Fnaeg). Donc, en analysant ce segment, on peut définir si la personne est atteinte – ou peut être atteinte – par cette maladie.
Des chercheurs européens ont mis au point un logiciel qui permet de déterminer, à partir des segments ADN prélevés pour le Fnaeg, l’origine géographique de la personne. Car les segments n’ont pas exactement la même forme que l’on soit d’origine européenne, africaine ou asiatique. Avec 7 segments, on n’avait pas assez d’informations pour obtenir ce résultat. Mais avec 17 segments, c’est possible. Quand les parlementaires ont voté la création du fichier en 1998, il ne devait servir qu’à identifier les gens. Mais il est aujourd’hui illusoire de penser qu’on ne peut faire que ça avec ces prélèvements. Et on peut très bien découvrir prochainement que les segments fichés dans le Fnaeg donnent accès à de nouvelles informations.
En France, environ 1,3 million de personnes sont inscrites dans le Fnaeg. Il a été créé en 1998, par le gouvernement Jospin, à la suite de l’arrestation du tueur en série parisien Guy Georges. Il était au départ destiné aux infractions sexuelles et a ensuite été étendu, notamment en 2003. Tous les délits peuvent aujourd’hui justifier un prélèvement d’ADN, sauf les délits routiers, ceux liés aux droits des étrangers et les délits financiers. Depuis 2003, les personnes simplement “mises en cause” dans une affaire, mais encore non condamnées, peuvent être inscrites au fichier. Les données sont conservées pendant quarante ans pour les personnes condamnées, et vingt-cinq ans pour les autres.
Le gouvernement fixe des objectifs chiffrés, notamment dans les Indicateurs de performance des politiques publiques, annexés à la Loi de finances. Il est indiqué qu’en 2011 plus de 50 % des personnes simplement mises en cause (avant condamnation éventuelle) dans des affaires judiciaires doivent faire l’objet d’un prélèvement d’ADN. Ces objectifs sont en augmentation constante chaque année. Il y a une volonté claire de remplir le fichier.
Il y a deux utilisations différentes de l’ADN : lors d’enquêtes policières comme, par exemple, après un homicide, on peut comparer les traces d’ADN sur la victime et les prélèvements d’ADN des suspects. L’ADN sert alors ponctuellement à innocenter ou à prouver la culpabilité de quelqu’un. Ce n’est pas la même chose que de construire un fichier. L’utilisation ponctuelle a servi à légitimer l’enrichissement du fichier. Aujourd’hui, quand on a des suspects et une victime, la police entre les échantillons dans le fichier. Cela permet de justifier que c’est grâce au fichier que l’affaire a été résolue. Alors que si on avait comparé l’ADN prélevé sur la victime à celui des suspects, sans passer par le fichier, on aurait également établi la correspondance. On biaise ainsi les statistiques sur le nombre de cas résolus grâce au fichier Fnaeg.
En Grande-Bretagne, le fichier génétique comprend 5 millions de personnes. Des associations britanniques ont montré qu’il n’est pas possible d’avoir des statistiques valables sur l’utilité de ces fichiers : on ne peut pas identifier les cas qui ont été résolus grâce à eux. Une cinquantaine de pays dans le monde opèrent ce type de prélèvements. Il existe une interconnexion des fichiers via Interpol. L’argument des policiers qui font le prélèvement est : “Si tu n’as rien à cacher, tu n’as rien à craindre.” Mais ce n’est pas anodin de ficher de façon massive l’ADN d’une population. Nous sommes quand même passés par Vichy : on ne doit pas faire n’importe quoi avec des fichiers !
J’ai témoigné pour le procès du syndicaliste Xavier Mathieu, qui a été relaxé pour son refus de prélèvement ADN. Le jugement n’a pas fait explicitement mention de ces éléments scientifiques, mais les termes utilisés par le juge montrent que notre argumentaire a eu un impact. Cette preuve que l’on peut avoir accès à des informations sur les personnes via le prélèvement d’ADN le rend illégal, puisque contraire à ce qui a été voté par la loi. Mais il est nécessaire de développer un argumentaire scientifique et juridique pour que les juges puissent s’appuyer dessus lors des procès, car ils ne sont pas en mesure de le construire eux-mêmes.
Propos recueillis par Agnès Rousseaux
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Billet initialement publié sur Bastamag sous le titre “Fichage ADN : tout ce que la police peut savoir sur vous”
Photo de Leo Reynolds [cc-by-nc-sa] via Flickr
]]>« Il nous manque encore les consommables, des enzymes, des bactéries. Je ne sais pas comment on va s’approvisionner auprès des fournisseurs, ils n’ont pas l’habitude de traiter avec des associations. C’est l’inconnu, nous sommes les premiers en France », explique Théotime, l’un des co-fondateurs de La Paillasse qui, greffés au /tmp/lab, pionnier des hackerspaces en France, est aujourd’hui accueilli par l’Electrolab, hacklab situé dans la zone industrielle de Nanterre.
Le mouvement naît à Boston, aux Etats-Unis, il y a 3 ans autour du DIY Biogroup, fondé par des chercheurs du MIT et de Harvard. Après les kits de petits chimistes, l’astronomie du dimanche, le lancement du modèle réduit de Saturne en avril 2009, les amateurs s’emparent aujourd’hui des laboratoires de génie génétique. On peut en effet désormais, grâce aux progrès dans la connaissance de l’ADN depuis sa découverte, en 1953, imaginer créer des circuits génétiques chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple :
L’idée est que la biologie est devenue une technologie, on n’a pas fait mieux que les cellules, explique Thomas, thésard en biologie de synthèse et formé à Normale Sup et co-fondateur de la Paillasse. Cette miniaturisation est la seule nanotechnologie qui fonctionne. Et comme on dispose de pièces modulaires pour fabriquer des circuits génétique, il est possible de créer des circuits chez soi, avec du matériel de laboratoire assez simple.
C’est autour de la biologie synthétique que la Paillasse est née. Une nouvelle discipline, à la croisée entre biologie, chimie, informatique et ingénierie. Elle consiste à modifier les génomes de micro-organismes, bactéries ou levures, en y introduisant des gènes supplémentaires, de manière à les détourner de leurs fonctions naturelles. Exemple : faire produire de l’artémisinine, utilisée dans la lutte contre le paludisme, à une bactérie dont les voies métaboliques ont été modifiées par la main de l’homme.
Pour ça, achetez un génome de synthèse, produit chimiquement et conçu par informatique, en quelques clics sur Internet. Comptez de 300 à 500 €. Ou, en mode Do it yourself, faites-le vous même grâce au répertoire de composants biologiques standards, open-source, de la fondation BioBricks mis au point par chercheurs et enseignants du MIT : « C’est très simple de manipuler le vivant », rappelle le thésard en biologie de synthèse.
Bien sûr, « le risque est différent en biologie qu’en électronique ou en mécanique. Une cellule bactérienne génétiquement modifiée qui tombe par terre peut interagir avec son environnement ».
D’où le crédo affiché sur la page d’accueil de diybio.org [en], « l’institution des biologistes amateurs » : accessibilité, citoyenneté, amateurisme, ingénierie, ouverture, sécurité et code de conduite. « Il faut des autorisations pour faire modifier génétiquement des organismes, et on ne veut pas se heurter aux règlements. Mais on peut avoir des approches très intéressantes de la génétique, même sans faire de mutations actives » :
On va faire quelques manipulations, mais gentiment. Nous sommes des gens curieux, nous voulons explorer la nature, nous avons des outils à notre disposition, il n’y a pas de raison de s’en priver.
Une fois la petite communauté parisienne créée autour de ce noyau dur, les premiers projets émergent : un microscope open-source, avec une lentille de téléphone portable, ou encore des yaourts dont les ferments lactiques sont génétiquement modifiés pour produire la GFP (green fluorescent protein) : éclairé par une lumière bleue, le yaourt se colore en vert, et brille… Effet garantit en boîte de nuit.
L’idée est de favoriser l’accès à l’information qui nous constitue, nous et notre environnement. Aujourd’hui la biotechnologie est devenue routinière. On établit des diagnostics à partir du séquençage d’un génome, les OGM nous entourent. Or ce sont des termes difficiles à comprendre. L’information génétique est partout et personne ne peut y accéder.
Aujourd’hui la Paillasse veut être un laboratoire de biotechnologie ouvert et transparent. Les citoyens doivent avoir dans leurs mains un contre-pouvoir pour participer aux choix sociétaux concernant l’utilisation de ces technologies. D’ici 10 ou 15 ans nous aurons peut-être notre génome encodé sur notre carte Vitale. Si elles sont complètes, ce sont des informations qui peuvent être dangereuses puisque elles nous sont propres.
Une démarche qui a tout son intérêt semble-t-il, si l’on se fie au dernier sondage Le Monde/La Recherche, intitulé « Les Français et la science » : 25 % des Français ignorent ce que sont les nanotechnologies, dont les nanoparticules sont pourtant présentes dans certaines raquettes de tennis, rouges à lèvre, des crèmes solaire, produits d’entretien pour chaussures qui « nourrissent, protègent et ravivent les couleurs pour toutes les matières »… Autre constat, les Français se fient à la science, mais pas aux chercheurs. Et aux biohackers ?
« Nous sommes ouverts aux nouveaux projets, tout le monde est bienvenu » (aux réunions hebdomadaires, à 20h tous les jeudis à la Gaité Lyrique, NDLR). L’accueil est chaleureux dans ce temple parisien des nouvelles technologies. On y parle beaucoup, et on boit quelques bières. Face à son ordi, Sam, neurohacker, à mi-chemin entre le Tmp/Lab et la Paillasse, teste son interface cerveau-machine.
Il mesure l’activité électrique de nos cerveaux grâce à un casque équipé d’une électrode, acheté 150€ sur Internet. L’infrarouge proche éclaire l’intérieur du cerveau et détermine sa consommation d’oxygène. En distinguant l’activité musculaire de notre gros muscle et ses ondes cérébrales, il peut modéliser celles-ci, en musique, grâce au programme, libre, qu’il a développé.
Cela permet de détecter les changements d’états mentaux. La suite de notes est pré-écrite, on change d’octave en fonction de l’activité du cerveau. Les sons aigus correspondent à la réflexion, les sons graves au repos.
L’idée, c’est d’interpeller les gens. On peut visualiser son état mental avec de la musique, on peut voir à l’intérieur du cerveau en quelque sorte, ce qui est interdit. Ce n’est pas le contrôle qui m’intéresse, l’idée est de créer des choses intéressantes musicalement, de faire réfléchir les gens sur les émotions que peuvent produire leur cerveau, et réagir à celles-ci.
Allez, un petit son pour la route, avec Neurohack au repos, puis en activité :
Sleep by Owni Son
Activity by Owni Son
Du fait que Sergey Brin (renommé Brain dans le livre) soit porteur du gène de la maladie de Parkinson aux fulgurants développements des technologies NBIC (nano-bio-info-cogno), entretien à bâtons rompus.
David Angevin: On s’est rencontré il y a trois ans. On est devenu copains, Laurent avait lu mes livres, je connaissais Doctissimo. En discutant, on s’est dit que c’était…
Laurent Alexandre: … rigolo de faire un truc entre transhumanité, intelligence artificielle (IA) et puis génétique. De faire la NBIC, la totale, en un seul roman. Et de faire le lien entre la passion des gens de Google pour l’intelligence artificielle et le fait que Serguey Brin va faire un Parkinson; il a le gène LRRK2 muté, comme annoncé sur son blog en 2008.
David Angevin: Ca a d’ailleurs fait la couverture de Wired…
Laurent Alexandre: Il s’est fait fait tester par la filiale de Google qui fait de la génétique qui est 23andMe, et qui est dirigée par sa femme.
Il y a un vrai pont entre la génomique et Google, ce n’est pas un hasard. Il y a le pont par la maladie et par la diversification sur le plan économique avec la création de 23andMe. 23, parce qu’on a 23 paires de chromosomes. Et moi. Confier son ADN à Google laisse présager de choses assez sympathiques.
Laurent Alexandre: Nano-Bio-Info-Cogno, ce n’est pas de nous. C’est vraiment un terme utilisé dans le cercle des gens qui bossent sur ces questions. En plus, c’est un acronyme facile à retenir. Les gens ont un peu de mal sur la cogno [les sciences cognitives] parce qu’en fait la cognitique, c’est à dire les sciences du cerveau et de l’IA, c’est un truc que les gens connaissent en fait très peu: au mieux les gens connaissent l’informatique bien sûr, et les nanos, qu’on commence à connaître. On a fait ce pont là. Et on s’est intéressés à l’émergence des groupes transhumanistes aux Etats-Unis: Kurzweil, ses opposants, les réactionnaires comme Kass.
David Angevin: On s’est échangé des milliers d’e-mails, d’articles… Tous les matins j’ouvrais ma boîte mail et Laurent m’avait envoyé cinquante liens. Je n’y connaissais pas grand chose à l’origine et en tant que romancier ça a fini par faire tilt, je me suis dit que c’était quand même plus intéressant que de raconter des histoires de bobos parisiens et journalistes, comme j’ai pu le faire avant. C’est un champ énorme qui s’est ouvert.
David Angevin: Oui. On s’est dit que tant qu’à faire, autant dresser un paysage complet.
Laurent Alexandre: Il se passe quelque chose avec Google, et c’est forcément un peu vaste. On n’est pas une des plus grandes puissances géopolitiques du monde, ce qu’est Google de notre point de vue aujourd’hui, sans que ça remue beaucoup d’éléments.
Laurent Alexandre: Parce que ça sensibilise plus les gens que 2174. Et que ça situe l’action dans un contexte géopolitique, économique, social, que les gens vivent.
David Angevin: Notre idée est de faire une série de livres sur le sujet. C’est intéressant parce que ce n’est ni de la science-fiction (SF), ni de l’anticipation: 2018 c’est demain matin. Alors évidemment, on exagère un peu: ce qu’on raconte adviendra peut-être en 2025. La date n’est pas importante finalement. La SF, ça ne nous intéresse pas. JC Feraud parlait de technoythriller: un divertissement qui tente de poser des questions.
Laurent Alexandre: La bataille pour le contrôle de Google me paraît envisageable à cette échéance. On peut imaginer que des acteurs veuillent prendre le contrôle de Google et que les Etats se posent des questions. Si Google continue à vouloir être un cerveau planétaire et à vendre une forme d’IA, la propriété de Google sera un problème d’envergure internationale.
Laurent Alexandre: Toutes ces histoires se construisent loin de chez nous. On peut pas dire que la Silicon Valley et la génomique se construisent sur les bords de la Seine ou sur les bords du Tage. On est quand même assez largement en dehors de cette histoire qui se construit entre Shenzhen, San Diego et la Silicon Valley, qui est l’épicentre des technologies NBIC.
Laurent Alexandre: Le “Google franco-allemand”, Quaero, ne me paraît pas très sérieux ni très crédible. On est des déclinistes, on ne croit pas que l’Europe va se réveiller demain matin.
David Angevin: Laurent me disait que l’Iran investit plus que nous dans les nanotechnologies.
Laurent Alexandre: Quand on voit la liste des pays qui auront plus de 150 millions d’habitants en 2050, c’est à dire demain matin, on a le Congo et l’Ethiopie (170 millions)… Ce ne sont pas de grandes puissances industrielles et technologiques, nous sommes d’accord. Mais les équilibres géostratégiques bougent beaucoup, et rapidement. L’Iran, le Viet-Nam et l’Egypte ont dépassé les 125 millions d’habitants. Quand j’étais en 6ème, l’Egypte était au programme, il y avait 27 millions d’habitants. Le basculement est très rapide.
David Angevin: On parlait de pessimisme sur l’aspect économique. C’est une possibilité. C’est un roman, donc on peut s’amuser mais c’est tout de même fondé sur un terreau qui tend à nous faire penser qu’on peut aller par là.
David Angevin: On a travaillé, on a mis deux ans à écrire ce livre. Je ne trouve pas particulièrement de plaisir à lire des polars français ou, encore pire, les polars nordiques que je trouve insupportables mais qui se vendent commes des petits pains. On est plutôt fans de littérature américaine effectivement. Ce qui m’a donné le rythme en revanche, n’a rien à voir: je me suis retapé les six saisons des Sopranos !
Laurent Alexandre: C’est en train d’exploser. Le coût du séquençage ADN baisse de 50% tous les cinq mois.
David Angevin: Le premier a eu lieu en 2003.
Laurent Alexandre: En 2003, une personne a pu séquencer son ADN, Craig Venter. 2007 c’était Watson, inventeur de l’ADN. En 2009, on arrive à 100, et en 2010, 4500. On parle de 2 millions de personnes en 2013. Le coût d’un séquençage baisse drastiquement en parallèle. 3 milliards de dollars pour Craig Venter. En 2013, on sera à 1000 dollars et à 100 dollars en 2018. Après, il y a la thérapie génique. Cela obéit à une loi de Moore au cube. La loi de Moore, ça baisse de 50% tous les 18 mois, là, on en est à une baisse de 50% tous les cinq mois. Il y a un véritable génotsunami en cours. Donc, pour répondre à votre question, la partie génétique paraît probable. La partie intelligence artificielle interviendra sans doute un peu plus tard, mais il est claire que la thérapigénique va exploser assez rapidement.
Laurent Alexandre: Il avait décrit Google en fait,en évoquant la mise en commun de tous les cerveaux de la planète, mais sous une forme religieuse. Il ne pensait pas évidemment aux microprocesseurs. Mais Google est quand même une forme de noosphère.
David Angevin: D’ailleurs, le test de Türing en 2018, ce n’est pas complètement impossible…
Laurent Alexandre: La preuve par Waston. Moi je pensais qu’il allait perdre. Pour ce jeu télévisé [voir vidéo en anglais] qui est quelque chose de compliqué se rapprochant d’un test de Türing, j’étais persuadé qu’on était 5 ans trop tôt pour qu’un ordinateur l’emporte.
David Angevin: En plus, il n’a pas gagné contre des nazes. J’ai pas répondu à une question.
Laurent Alexandre: Il a fait une ou deux erreurs logiques, mais c’était impressionnant. On peut penser que le test de Türing sera gagné avant 2020, mais ce n’est pas le test de l’intelligence.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Laurent Alexandre: L’immortalité, c’est plutôt le post-humain. Parce que le transhumain ne télécharge pas son cerveau. Le vrai immortel, c’est plutôt le post-humain. Ce genre d’idéologie va attirer pas mal de gens étranges: des gourous NBIC autant que des kamikazes bioluddites. On peut imaginer toutes les dérives dans cet univers, comme dans toutes mutations technologiques.
David Angevin: Ca va aller tellement vite qu’ils vont flipper. Ils sont déjà relativement crispés sur ces questions. On peut imaginer que des extrêmistes religieux se mobiliseront contre ces évolutions. D’ailleurs, dans notre livre, Larry Page se fait descendre par un kamikaze bioluddite.
Laurent Alexandre: Si le pouvoir de l’homme croît exponentiellement, si l’espérance de vie augmente et si on manipule à l’envi notre ADN et notre cerveau, on pose bien sûr question aux religions. Et surtout si on créé de la vie tabula rasa. On est dans une phase de création de la vie en éprouvette, déjà. On a créé une cellule artificielle en juillet dernier, ce qui n’est pas anodin vis à vis des religions. Dans le puzzle NBIC, c’est une pièce importante, comme d’autres se mettent en place depuis quelques années. Et elles s’assemblent: le séquencage ADN, la thérapie génique à notre porte, la vie artificielle qui se créée, des progrès extraordinaires dans la compréhension du cerveau et en IA.
David Angevin: On n’a jamais, dans toutes l’histoire de l’humanité, renoncé à une découverte, à un progrès scientifique. J’ai plutôt de la tendresse pour ces gens. J’ai un profond respect pour les gens qui se retirent de la société. Mais il y a aussi un côté un peu pathétique, parce que ce n’est pas ce vers quoi le monde va. Je suis assez frappé qu’on arrive avec ce bouquin et qu’il n’y ait pas déjà eu un million de livres sur le sujet! C’est grave. Le manque de curiosité des journalistes ou des responsables politiques sur ces sujets, c’est dément!
David Angevin: Bien sûr.
Laurent Alexandre: Les politiques ne veulent pas en entendre parler. Je suis énarque, j’en connais des politiques. La technologie leur fait peur. En réalité, la biopolitique et les NBIC ne rentrent pas dans le clivage droite/gauche.
Madelin est ultra proNBIC, il y a des gens pro NBIC à gauche, les écologistes sont antiNBIC, comme les cathos versaillais de droite. La biopolitique, ce n’est pas gauche/droite, et donc c’est un peu compliqué.
David Angevin: Il y a aussi des associations contre-nature dans le livre, comme entre extrêmistes islamistes et cathos de droite.
La théorie du livre c’est que la clivage droite/gauche va disparaître au profit du clivage bioconservateurs/transhumanistes.
David Angevin: Au départ, on voulait faire ça sous forme d’essai, mais on s’est vite rendu compte que c’était trop froid: c’était plus malin d’en faire une “politique-fiction”: un bon moment à passer qui pose les bonnes questions.
Laurent Alexandre: Et puis Sergey Brin est un personnage de roman: si puissant, et si jeune. Et ils ont des comportements de gamins avec leur ballons et leurs bureaux à la con. Ce sont de grands enfants. En plus, Brin matérialise deux des facettes NBIC: la génétique et l’IA.
Laurent Alexandre: L’analyse d’un génome nécessite beaucoup d’algorithmes. L’affinement des technologies d’analyse du génome passera par des algoritmes qui vont de plus en plus tendre vers l’IA. Quand on traite des milliards et des milliards de données, on est déjà dans de l’IA, aves des moteurs de recherche, des moteurs d’inférence… C’est une tendance. Ce qu’on fait en biologie va également être de plus en plus irrigué par de l’IA. Mais il n’y aura pas de seuil. On ne va pas du jour au lendemain découvrir l’IA: ce n’est pas un bouton on/off. C’est comme un enfant qui grandit, c’est un processus vivant qui se créé. L’an 0 de l’IA, c’est la victoire contre Kasparov aux échecs en 1997, ce que tout le monde considérait comme impossible. Pourtant, il y a encore des champs dans lesquels l’ordinateur ne peut battre l’homme: le jeu de Go par exemple.
David Angevin: C’est 2018, encore une fois. Il va y avoir une suite.
Laurent Alexandre: Le cyborg est une figure qui nécessite quelques décennies pour s’épanouir…
David Angevin: Oui, et ils ne s’en cachent pas!
Laurent Alexandre: Sur l’IA, ils ont fait plusieurs déclarations dans lesquelles ils présentaient leur objectif: que Google soit un moteur d’IA.
David Angevin: On n’a pas inventé grand chose.
David Angevin: Dans le bouquin, Google se contente de s’en servir pour tenir tout le monde par les couilles, ils s’en servent comme d’une arme.
Laurent Alexandre: Notre conviction, c’est que si on avait de vrais moteurs d’IA, on s’en servirait à des fins médicales. Parce que finalement la seule obsession partagée par tout le monde sur Terre est de vivre plus longtemps. Ce serait l’utilisation première.
David Angevin: On est en 2018, encore une fois. Et c’est tôt, ils n’ont pas encore fait le boulot, ni gagné la partie. Il y a forcément des barbouzes qui gravitent autour. Et puis, c’était pour le côté fun.
Laurent Alexandre: Tout cela reste très humain.
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Illustrations CC FlickR: MJ/TR, Tangi Bertin, Joamm Tall
Images de Une par Marion Boucharlat pour OWNI
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]]>Cette base de données, appelée “base d’exclusion”, serait distincte de l’actuel Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui recense, lui, les personnes mises en cause et les condamnés.
L’objectif est d’éviter les erreurs sur les scènes de crimes, où les enquêteurs laissent parfois leurs propres traces biologiques. Le seuil de détection étant aujourd’hui très bas, plusieurs cas de “pollution” ont ainsi été observés ces dernières années, y compris dans des affaires sensibles.
Le risque de “pollution” est bien réel, comme le montre l’enquête que j’avais consacrée aux erreurs imputables aux “experts” de la preuve par l’ADN, ou encore, et de façon plus prosaïque, ce commentaire posté en réponse à l’article de l’Express :
Ca me parait évident que c’est nécessaire, d’abord les rares cas de pollution, c’est assez faux; Quand j’ai bossé dans les banques très rapidement j’ai dû bloquer tous les policiers qui venaient lors de braquage qui commencaient a mettre les mains sur les portes des sas, ne prenaient pas de gants a l’intérieur etc etc.. certes ce ne sont pas des meurtres mais quand on voit cette négligence affichée, on tombe des nues.
On peut raisonnablement penser que les policiers sont aujourd’hui, de plus en plus formés, pour éviter de polluer ainsi une scène de crime ou de délit. Mais la réflexion initiée par le ministère de l’Intérieur démontre que le risque est loin d’être nul.
Un autre internaute, plus suspicieux, craint de son côté que “les policiers dont l’ADN sera retrouvé sur le lieu d’un crime seront automatiquement considérés comme innocents, l’ADN relevé étant consécutif à une “erreur”. Très pratique. Dans un état policier, evidemment…”
Le problème est ailleurs : en 2001, près de la moitié des policiers britanniques à qui leurs supérieurs avaient de même réclamé leur ADN avaient tout simplement refusé d’être ainsi fichés, pour les même motifs. Leurs craintes étaient doubles:
. que des malfrats mal intentionnés ne prélèvent intentionnellement des mégots de clope, mouchoirs ou verres de policiers pour les laisser sciemment sur une scène de crime afin de les incriminer, et au motif que rien n’empêchera la police d’utiliser la “base d’exclusion” afin d’y rechercher des suspects (on a en effet déjà vu des malfrats laisser ainsi sciemment des traces ADN de leurs meilleurs ennemis sur les lieux de leurs propres délits);
. que la base de données génétiques ne soit, à terme, utilisée par des assureurs et autres mutuelles, ou encore pour effectuer des tests de paternité. Une crainte a priori injustifiée si l’on s’en tient aux objectifs affichés du fichier. Une crainte pas si irrationnelle que cela lorsque l’on se penche sur l’évolution des fichiers génétiques.
On a ainsi longtemps pensé que les segments qualifiés de “non-codants” enregistrés dans le FNAEG interdisaient tout tri sélectif en fonction de caractéristiques génétiques (couleur de peau, maladie, etc.). Or, il semblerait qu’”il n’y a pas d’ADN “neutre“, et qu’à terme on puisse discriminer des empreintes génétiques en fonction de telles ou telles caractéristiques…
Plus important : depuis ses débuts, le fichier ADN n’a cessé de grandir, grossir, s’élargir et de dériver de ses finalités premières. Petit retour en arrière.
Dans l’émission que TF1 lui a gracieusement offert, Nicolas Sarkozy a quelque peu travesti la réalité en déclarant qu’il était celui qui avait créé le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) :
Lorsque j’ai créé le fichier d’empreintes génétiques pour les délinquants sexuels, souvenez-vous en 2003 le scandale que cela a fait. Aujourd’hui, on retrouve un coupable de viols sur deux !
Ce n’est pas grâce à leur ADN que l’on retrouve un violeur sur deux, et l’efficacité du fichier est loin d’être aussi probante. Fin 2009, le ministère de l’intérieur avait ainsi répertorié 17 740 rapprochements d’affaires entre des traces et des personnes précédemment “mises en cause“, et 5 840 avec des personnes condamnées, soit un total de 23 580 affaires (plus 4 231 rapprochements “traces/traces mais qui, faute d’avoir identifié le propriétaire de ces traces, ne peuvent à ce jour aboutir).
Le FNAEG répertoriant l’ADN de 1 214 511 personnes (à raison de 280 399 condamnés, et 934 112 “mis en cause“), ce sont donc 1.94% des personnes fichées (2,08% des condamnés, et 1,89% des “mis en cause“) qui se sont retrouvés suspectées d’un crime ou d’un délit du fait d’avoir été génétiquement fichées.
ANNÉE | ACTIVITÉ ET ENREGISTREMENTS CUMULÉS DEPUIS LA CRÉATION DU FNAEG | |||||
---|---|---|---|---|---|---|
Profil génétique des personnes condamnées |
Traces non identifiées |
Profil génétique des personnes mises en cause |
Rapprochement d’affaires | |||
Traces/ traces |
Traces/ mises en cause |
Traces/ condamnés |
||||
31 décembre 2009 | 280 399 | 62 258 | 934 112 | 4 231 | 17 740 | 5 840 |
Dans son rapport annuel intitulé Criminalité et délinquance enregistrées en 2010, l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), l’usine à statistiques du ministère de l’intérieur, dénombre 10 108 viols (dont 5 388 sur mineurs) pour la seule année 2010. On est donc bien loin de l’identification d’un violeur sur deux grâce à l’ADN… Mais on aimerait bien, effectivement, en savoir plus sur la teneur de ces “rapprochements“, le type d’affaires que cela concerne, les conséquences judiciaires que cela a pu avoir, l’évolution du nombre et de la qualité de ces “rapprochements“…
Plus gênant encore : ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a créé le FNAEG, quoi qu’il en dise. Comme le rappelle Wikipedia, le fichier a été créé, par le gouvernement socialiste, au travers de la loi Guigou du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, afin de ficher les personnes impliquées dans les infractions à caractères sexuelles.
En novembre 2001, ce même gouvernement socialiste élargissait son champ d’application dans sa loi pour la sécurité quotidienne (LSQ) aux crimes d’atteintes volontaires à la vie de la personne, de torture et actes de barbarie et de violences volontaires, aux crimes de vols, d’extorsions et de destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes, et aux crimes constituant des actes de terrorisme.
Nicolas Sarkozy, lui, s’est contenté -si l’on peut dire- de l’élargir, non seulement aux personnes reconnues coupables de la quasi-totalité des simples délits, mais également aux personnes “mises en cause” dans ces types de délits.
Ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas d’avoir créé le fichier génétique des délinquants sexuels, mais d’avoir élargi ce dernier aux simples suspects de la quasi-totalité des crimes et (surtout) des délits. D’où l’explosion du nombre de personnes fichées : 2100 en 2001, 1,2 million de personnes fin 2009, soit 1,86% de la population française. D’où le fait que près de 75% des personnes qui y sont fichées sont donc toujours “présumées innocentes“. D’où, enfin, les nombreux problèmes rencontrés depuis avec ces faucheurs d’OGM, manifestants et enfants que des gendarmes et policiers voulaient ficher.
Rajoutez-y le fait que la consultation du FNAEG a été rendue possible aux policiers d’un certain nombre de pays étrangers, alors même qu’aucun accord n’a été trouvé pour ce qui est de la protection des données personnelles ainsi échangées, et l’on comprend déjà un peu mieux ceux qui critiquent le FNAEG, à l’instar d’Olivier Joulin, du Syndicat de la magistrature, que j’avais interviewé en 2007 :
Selon une méthode éprouvée, dans un premier temps on justifie une atteinte générale aux libertés publiques en insistant sur le caractère exceptionnel [infractions sexuelles graves] et sur l’importance des modes de contrôles, en particulier concernant l’habilitation des personnels et les protocoles à mettre en œuvre.
Ils nous avaient été vantés pour rassurer les personnes qui criaient aux risques d’atteintes aux libertés. Puis on élargit le champ d’application du Fnaeg, qui concerne aujourd’hui presque toutes les infractions, et on réduit les possibilités de contrôle. L’exception devient la norme.
Olivier Joulin dénonçait également la “perméabilité” des fichiers, et donc le fait que le risque ne relève plus tant des autorités publiques (“sauf dérapage de type écoutes de l’Elysée“) que de la possibilité de les voir détournés par des gens du secteur privé, ou des autorités d’autres pays hors du contrôle des juridictions françaises.
Interrogé par Le Monde sur cette montée en puissance du FNAEG, Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, se déclarait lui aussi, l’an passé, pour le moins circonspect :
Il faut reconnaître qu’il permet de résoudre des affaires, mais on est maintenant dans une logique d’alimentation du fichier. Personne ne prône le fichage généralisé, mais, de fait, on est en train de l’effectuer.
Alors, pourquoi ne pas ficher l’ADN de tous les policiers, et puis de tous les gendarmes aussi, et les pompiers, infirmiers, sans oublier les magistrats (qui ont accès aux scellés), les surveillants pénitentiaires (qui sont au contact de criminels), les personnels hospitaliers (qui s’occupent des victimes sur qui l’on prélève des traces génétiques)…
Aux USA, certains commencent à s’intéresser à l’ADN des familles des criminels et délinquants en fuite (ou qui n’ont pas encore été fichés), afin de voir si, d’aventure, on ne pourrait pas leur imputer certains crimes et délits impunis. En France, deux hommes politiques au moins, Christian Estrosi et Jean-Christophe Lagarde, se sont déjà prononcés pour un fichage génétique généralisé de l’ensemble de la population, “dès la naissance“, avait précisé Estrosi. Un objectif repris, en 2009, par les Emirats Arabes Unis :
La première étape est de mettre en place l’infrastructure, et d’engager les techniciens de laboratoire. Ce qui devait nous prendre environ un an.
Le but est de ficher, à terme, la totalité de la population.
Notre objectif est d’échantillonner un million de gens par an, ce qui devrait nous prendre 10 ans si l’on prend en compte l’évolution de la population.
Les Emirats Arabes Unis sont le premier pays à avoir décidé de ficher les empreintes génétiques de l’intégralité de sa population, expatriés, immigrés et “visiteurs” compris, indéfiniment -ou au moins jusqu’à leur mort.
Les tout premiers à être fichés seront les mineurs, au motif que “la majeure partie des criminels commencent lorsqu’ils sont jeunes. Si nous les identifions à cet âge, il sera plus simple de les réhabiliter avant qu’ils ne commettent de crimes encore plus graves“.
Élie Escondida et Dante Timélos, auteurs d’un “guide de self-défense juridique“, Face à la police / Face à la justice, rappellent que la preuve par l’ADN n’est jamais qu’une méthode statistique, et que les “experts” n’analysent jamais l’intégralité d’une “empreinte” ADN, mais qu’ils en dressent un “profil” :
Deux ADN différents peuvent donner deux profils ADN semblables justement parce que le profil n’utilise qu’une fraction de l’ADN et non l’ADN dans sa totalité.
Pour pallier ces difficultés, les experts vont se livrer à un calcul de probabilités. L’idée est simple. Même si on ne peut certifier que deux profils ADN identiques représentent bien un ADN unique, il est toujours possible d’essayer d’estimer la probabilité d’une coïncidence fortuite.
Autrement dit, le résultat d’une expertise ADN n’est pas, contrairement à ce qu’on croit, une affirmation du type « l’ADN retrouvé dans cette trace appartient à telle personne » mais bien une affirmation du type « il y a x probabilités pour que l’ADN retrouvé dans cette trace appartienne à telle personne ».
Si on peut réfuter, avec une certitude absolue, l’identité entre deux profils, on ne peut en revanche jamais confirmer celle-ci avec une certitude de 100 %.
Pour Raphaël Coquoz, chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de l’université de Lausanne et spécialiste de l’ADN, on “accorde trop de valeur” à l’ADN : “l’analyse ADN donne une probabilité que telle ou telle personne ait été présente à un endroit. Le concept de probabilité est parfois difficile à entendre quand on aimerait voir les choses en blanc ou en noir.”
Or, comme l’expliquent Escondida et Timélos, “plus un fichier augmente en taille, plus il est censé être efficace, mais plus sa fiabilité théorique est en chute libre“… Dit autrement : plus on fichera de gens, plus la probabilité d’en faire quelque chose de probant diminuera.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Illustration CC FlickR : micahb37 et extraite d’une brochure appelant au refus du fichage ADN.
]]>Oui, l’inévitable est arrivé. Juste avant les élections américaines du 2 Novembre – coïncidence ? – des chercheurs auraient démontré un lien entre des vues politiques de gauche et DRD4, un gène produisant un récepteur pour la dopamine, un neurotransmetteur. Cette étude parue dans The Journal of Politics, menée sur 2000 personnes montre une corrélation entre DRD4 et les vues de gauche chez les personnes ayant eu beaucoup d’amis dans leur adolescence.
L’auteur principal, James Fowler, de l’UCSD, s’est focalisé sur DRD4 car ce gène avait été précédemment relié à la “recherche de nouveauté”. D’après un communiqué de presse de San Diego, le raisonnement de Fowler est le suivant :
les personnes avec l’allèle du gène corrélé à la recherche de nouveauté pourraient rechercher davantage à se confronter aux points de vues de leurs amis. Du coup, les personnes avec cette prédisposition génétique pourraient avoir un nombre moyen d’amis plus important, ce qui les exposerait à un spectre social plus grand, avec pour conséquence de les faire pencher davantage à gauche.
Les équipes d’UCSD et d’Harvard se vantent d’avoir trouvé le premier lien entre un gène et une opinion. En fait, si leur résultat est confirmé, cela serait le premier lien confirmé entre un gène et n’importe quel comportement complexe.
Le “gène du gauchiste” est en effet le dernier avatar d’une longue série de spectaculaires annonces de la génétique du comportement, ou plutôt ce que j’appellerai la “whiz-génétique” (“gene-whiz science”). La génétique du comportement, qui a la prétention de relier les différences de comportement entre individus à des variations génétiques, reçoit une attention tout à fait disproportionnée, d’autant plus que la plupart de ses “découvertes” résistent rarement à un examen plus attentif.
Les scientifiques, ou plutôt les whiz-généticiens, font typiquement une annonce du genre : : “Il y a un gène qui vous rend gay/superintelligent/ qui vous fait croire en Dieu/ qui vous fait voter Bertrand Delanoë.” Les media et le public amplifient le buzz, s’ébahissent collectivement ! Le problème, c’est que les études qui suivent échouent lamentablement à corroborer l’annonce initiale, et reçoivent évidemment beaucoup moins d’attention, ce qui donne l’impression fausse au public que l’annonce initiale était exacte – ou plus généralement, que nous serions déterminés par nos gènes.
Ces vingt dernières années, les “whiz-généticiens” ont découvert des gènes pour les QI élevés, l’homosexualité masculine, la croyance religieuse, l’addiction au jeu, le syndrome de déficit d’attention, l’obsession compulsive, la bipolarité, la schizophrénie, l’autisme, la dyslexie, l’alcoolisme, l’addiction à l’héroïne, la mélancolie, l’extraversion, l’introversion, l’anxiété, l’anorexie, la violence – vous voyez le tableau. Jusqu’ici, aucune de ses annonces n’a été confirmée par les études ultérieures.
Ces échecs ne devraient pas être surprenants, étant donné que ces nombreux traits de personnalité sont certainement la résultat de complexes interactions entre gènes et environnement. De plus, la méthodologie des généticiens du comportement les expose naturellement à de nombreux faux positifs. Les chercheurs sélectionnent en général un groupe de personne ayant un trait de personnalité commun, et commencent à chercher si un gène n’est pas exclusivement présent dans ce groupe, mais simplement sur-représenté par rapport à un groupe témoin. La réalité, c’est que statistiquement, si vous regardez assez de gènes, vous tomberez nécessairement sur un gène qui répondra à ce critère par pur hasard.
Le plus célèbre des whiz-généticiens est le généticien Dean Hamer du National Cancer Institute. Son premier coup d’éclat date de 1993 et de la “découverte” du gène de l’homosexualité. Après ce premier papier paru dans Science, Hamer, aidé d’un journaliste, a rapidement sorti un livre, “La science du désir” que le New York Times a qualifié de “notable”. Les études qui ont suivi n’ont trouvé aucune preuve du “gène gay”.
Dans son livre de 2004, “le Gène de Dieu”, Hamer affirmait avoir trouvé un gène relié à la foi religieuse ou à la spiritualité. TIME en a fait sa couverture, mais une critique de Carl Zimmer parue dans Scientific American rappelait ironiquement que le livre aurait plutôt dû s’appeler “le gène corrélé à moins de 1 pour cent de la variation trouvée dans des questionnaires psychologiques conçus pour mesurer une quantité appelée self-transcendence, qui recouvre un large spectre d’attitude depuis l’appartenance au parti écolo jusqu’à la croyance au paranormal, selon une unique étude non publiée et non reproduite”.
Hamer était naturellement à la tête du groupe qui a corrélé en 1996 le gène DRD4 à la “recherche de nouveauté”. De nombreux groupes ont tenté de reproduire les découvertes de Hamer, mais, d’après une revue parue en 2008, “les preuves de cette corrélation demeurent incertaines”. En attendant, DRD4 a aussi été relié à la schizophrénie, la maladie de Parkinson, les troubles bipolaires, l’addiction au sexe, la boulimie, et donc maintenant, les idées de gauche, d’après Wikipedia.
En fait, j’espère bien que la découverte du gène du gauchiste- contrairement à toutes les annonces précédente de whiz-génétique- sera confirmée, puisque dans ce cas, nous pourrions créer un meilleur des mondes en fabriquant génétiquement des bébés de gauche. On pourrait même les financer avec le nouveau plan de couverture maladie d’Obama ! Hélas, cette vision utopique – tout comme le gène gauchiste- n’est qu’un doux rêve.
>> Article publié initialement sur Cross-check le blog (Scientific American) de John Horgan et traduit en français par Tom Roud.
À lire ailleurs :
Fiche de lecture sur Le gène de Dieu
>> Illustrations : Wikimedia Commons CC par Photo75 et FlickR CC : Mike Towber
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