Dans ce cadre, il avait réalisé que les chercheurs se faisaient parfois une mauvaise idée de la manière dont on réalise des progrès en sciences. Plus que l’illumination ou le travail acharné, il voulait mettre en exergue la part d’amusement et de curiosité quasi-enfantine qui motive les génies scientifiques.
« The most exciting phrase to hear in science, the one that heralds new discoveries, is not ‘Eureka!’ (I found it!) but ‘That’s funny’ … » qu’on pourrait traduire par « La chose la plus excitante à entendre en science, celle qui proclame de nouvelles découvertes, n’est pas « Eureka » (j’ai trouvé !) mais ‘C’est rigolo…’ ».
Peu d’amateurs de SF savent que cet auteur a publié des recueils de blagues (Isaac Asimov’s Treasury of Humor et Asimov Laughs Again) et donnait même la méthode pour bien les raconter.
Dans le même genre, il faut aussi parfois s’imaginer les chercheurs du projet Manhattan enfermés à Los Alamos, en pleine création de l’arme qui repoussait les limites de la destruction, s’amuser souvent comme des gamins entre eux. Profitons-en pour donner une citation d’allure polissonne d’Oppenheimer qui dirigeait ce projet:
« Understanding is a lot like sex. It’s got a practical purpose, but that’s not why people do it normally » que nous traduisons par « La compréhension ressemble fort au sexe. Cela a un but pratique, mais ce n’est pas la raison pour laquelle les gens le font d’habitude ».
Feynman et Oppenheimer à Los Alamos
Dans ce groupe de physiciens atomiques, il y avait aussi le futur prix Nobel, Richard Feynman, qui a d’ailleurs repris cette citation à son compte (il était de nature très libérale sur tout ce qui touchait au sexe, au passage).
Feynman fut un grand vulgarisateur et ses interviews connaissent un grand succès sur Youtube. Par exemple, sur la vidéo qui suit, il explique comment fait un train pour rester sur les rails dans les virages alors que ses roues n’ont pas de différentiels : tout est dans la forme de la roue.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
L’humour et la fantaisie de ce prix Nobel étaient bien connus même si la vie l’a parfois affecté durement (sa femme est décédée lorsqu’il travaillait au projet Manhattan). Certains ouvrages qui narrent ses anecdotes orales ont été de grand succès comme « Vous voulez rire, Monsieur Feynman ! ».
Plus près de nous, parmi les personnes que je suis sur Twitter, il en est un qui s’est bombardé du nom de « Science Comedian » : Brian Malow. Ce comédien des sciences a d’ailleurs déposé un site du même nom.
Il faut souvent un minimum de connaissances scientifiques pour comprendre son humour. Ainsi, sur sa page « à propos », il fournit une citation de sa composition que je traduis directement :
« Les femmes sont passées dans ma vie comme des particules exotiques le font à travers une chambre à brouillard, ne laissant que des traces de vapeur comme indices pour que j’étudie leur nature ».
Il faut déjà savoir ce qu’est une chambre à brouillard (ou chambre de Wilson)… J’ai le regret de ne jamais avoir vu pour de vrai cette incroyable expérience de physique. Voici une démonstration au sein du plus célèbre des musées scientifiques au monde : l’Exploratorium de San Francisco (j’ai eu le privilège de visiter il y a 10 ans).
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Brian Malow a décidé de faire rire les gens avec les sciences, en adaptant le niveau à son auditoire. Pour les étudiants en sciences, les blagues puisent dans leurs connaissances et commencent souvent comme cela : « Un virus rentre dans un bar… » et s’ensuit une situation irréelle et cocasse.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Il s’est fatalement posé la question de savoir si tous les scientifiques avaient le sens de l’humour. Réponse en vidéo :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Et pour éviter à ces chercheurs de prendre trop la grosse tête, il existe les prix Nobel inversés annuels, les IgNobels . Leur fondateur Marc Abraham d’IgNobel répète à envie que les prix sont surtout là pour récompenser les recherches qui font d’abord rire, puis réfléchir.
Un exemple est à relever tout récemment sur l’excellent blog « Twisted Physics » où on peut lire qu’une recherche a souhaité répondre à cette question digne d’un enfant (mais ce sont souvent les plus embarrassantes) : « Comment fait Woodywood Pecker pour ne pas avoir mal au crâne ? ». Ces recherches tombaient à pic (c’est le cas de le dire), car elles ont ouvert la voie à d’autres sur l’amortissement de chocs pour l’électronique.
Le choix du thème du billet de « Twisted Physics » n’est pas innocent car il est fondé sur une actualité qui a défrayé la chronique outre-Atlantique dernièrement : un ancien joueur de football américain s’est ôté la vie en se tirant dans la poitrine tout en précisant sur son testament qu’il léguait son cerveau à la Science afin de déterminer si les joueurs de ce sport culte subissent des ravages cognitifs suite aux chocs et en dépit de toutes les protections personnelles.
Le paradoxe de cette parodie des Nobels est que la plupart des chercheurs sont heureux de recevoir cette récompense moqueuse, car elle permet de faire connaître leurs travaux, qui, malgré leur air parfois incongrus, sont souvent plus prometteurs et utiles qu’on ne l’aurait pensé de prime abord.
Trop souvent, on observe les mêmes écueils lors de conférences grand public, par exemple lorsque l’auteur d’un livre part en « tournée de promotion » : ton monocorde, peu de mouvements sur scène, pas d’« effets », peu d’exemples et, le pire de tout, une confusion entre présentation publique de ses travaux et présentation à des pairs… Les éditeurs devraient-ils songer à proposer des stages de communication à leurs auteurs ?
La question que l’on doit se poser lorsqu’on réalise un projet de vulgarisation est : « Quelle teneur en humour puis-je injecter dans mon exposé, selon le contexte, le média employé, le type de public ? ». Ceci, dans le but évident de mieux captiver son auditoire, de faire rebondir un exposé qui peut faire parfois appel à des notions difficiles, etc.
L’idée n’est pas de faire le pitre ou l’intéressant mais de trouver les bons codes et recettes afin de captiver son auditoire, quel que soit son niveau d’expertise : le mettre à l’aise et le surprendre afin de soutenir son attention tout au long d’une conférence puis de bien faire passer et ancrer le message à retenir.
Pour ne prendre que mon exemple personnel, je dois partiellement mon goût pour les sciences physiques à mon professeur de quatrième qui se démarquait du lot par un délicieux humour cynique. Des exemples remarquables, à mon sens, de vulgarisation scientifique à l’humour bien dosé, sont les prestations de l’américain Neil DeGrasse Tyson.
Voici une vidéo sous-titrée par mes soins où DeGrasse Tyson évoque le thème des ovnis. Pourquoi personne n’en prend de la graine en France ?
Les recherches scientifiques actuelles ont tout pour déconcerter le citoyen moyen : de formidables prouesses dans des domaines quasi incompréhensibles pour le commun des mortels (pensons au LHC) et en même temps des perspectives catastrophiques (pensons au climat).
Dans ce cadre, l’usage de l’auto-dérision (« Si on savait ce que l’on cherchait, on n’appellerait pas cela de la recherche ! » ou « La physique commence à devenir trop difficile pour les physiciens ») voire même de l’ironie et de l’humour noir peut arriver à faire éprouver de la sympathie pour celui qui réalise son exposé, et indirectement, faire davantage confiance en la Science.
Je crois en effet qu’il est nécessaire de partir d’un exemple simple ou du vécu pour attirer l’attention : combien de scientifiques doivent leur carrière à un émerveillement d’enfant (Einstein et sa boussole à 5 ans) ou aux rêves provoqués par différents média : littérature (principalement de la SF), films ou séries télévisées ?
En une phrase : si l’on veut voir grossir les effectifs des étudiants sur les bancs des universités scientifiques, il faut se souvenir de la citation d’Oppenheimer. Faisons rire, émerveillons le public et montrons également que le champ scientifique permet d’exercer sa curiosité et d’exprimer une grande créativité.
Je ne garantis pas que les étudiants seront meilleurs aux examens avec cette méthode, mais plus nombreux sur les bancs, certainement !
Aux États-Unis, on commence à faire davantage qu’à en prendre conscience : tout récemment, l’AAAS a tenu sa convention annuelle à Washington et pour la première fois de son histoire a organisé une conférence nommée « The Science of Comedy : Communicating with Humor ».
Et le mois dernier s’est tenu un nouveau type de congrès : « The summit on Science, Entertainment and Education ». Le titre du sommet qui mélange les genres dit tout : on compte inspirer les jeunes avec les média afin de les amener à embrasser la Science.
Exemple 1 : Surprendre par une réponse inattendue
Question du prof : « Pourquoi un ballon de baudruche s’élève dans le ciel ? »
Réponse honnête de l’étudiant : « parce qu’il est rempli d’hélium et…
Prof qui coupe la parole : mais non, c’est parce que quelqu’un a lâché la ficelle !
Exemple 2 : Raconter une histoire qui est à peine caricaturale (précision d’un ancien étudiant en mécanique des fluides)
Un milliardaire voudrait offrir des millions à celui qui répondra à cette question : « Comment prédire les chevaux qui ont le meilleur potentiel pour la course ».
Un généticien, un physiologiste et un physicien sont convoqués et reviennent au bout d’un mois.
Le millionnaire est heureux et s’apprête à saisir son chéquier quand le physicien rajoute : « Une chose à savoir : mon équation s’applique à un cheval à symétrie sphérique qui se déplace dans le vide. ».
>> Illustrations : FlickR, licence CC (sauf la seconde : Wikimedia Commons) : turkguy0319, csuspect, key lime pie yumyum, Greyhawk68
>> Article initialement publié sur le blog de Knowtex
]]>