OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Leçon de rhétorique sur le partage http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/ http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/#comments Tue, 07 Feb 2012 15:55:08 +0000 Philippe Aigrain http://owni.fr/?p=97028

Nul n’est à l’abri en ces temps pré-électoraux. Vous risquez de rencontrer chez des amis un responsable de l’Association des producteurs cinématographiques, des lobbyistes de grandes sociétés des médias, leurs conjoints ou leurs amis, un ancien ministre de la culture ou des artistes et auteurs sincèrement convaincus que l’internet du partage est un repaire de brigands et celui des vendeurs de contenus une bénédiction pour la culture.

Or ces personnes s’emploient en ce moment à plein temps à avertir nos concitoyens, et parmi eux particulièrement un candidat à l’élection présidentielle, des immenses dangers que la mise en place de nouveaux financements associés à la reconnaissance du partage non-marchand entre individus des œuvres numériques feraient courir aux fleurons français de la culture.

Voici donc quelques éléments qui vous permettront de relancer la conversation tout en restant polis, bien sûr.

1. Tu comprendras Licence globale

Vous remarquerez tout d’abord que vos interlocuteurs s’en prennent à une créature baptisée licence globale. Petit cours de rattrapage pour les plus jeunes : la licence globale est une proposition élaborée en 2004 et 2005 qui fut assassinée à coups de pelle en 2006, avant que nul n’ait eu le temps de concevoir et encore moins d’expliquer comment elle fonctionnerait. Quelques défenseurs de la légalisation du partage continuèrent à employer le terme par la suite (Jacques Attali par exemple, ou Juan Branco dans le cas du cinéma, qui en précisèrent le contenu).

Pour l’essentiel, cependant, l’expression devint le moyen de désigner ce dont on ne parlerait pas dans les divers comités présidés par des représentants d’intérêts particuliers mis en place par la médiocratie sarkozienne. Aujourd’hui, deux grandes classes de propositions sont discutées au niveau international : la contribution créative, à laquelle j’ai consacré deux livres, et différentes formes de “licences pour le partage”, dont en France la proposition de Création, Public, Internet ou les documents élaborés par des groupes de travail au sein du PS et d’EELV. Demandez donc à votre interlocuteur pourquoi il ne fait pas référence à ces propositions, qui sont celles qui sont effectivement discutées.

2. Tu compareras au livre

Votre interlocuteur s’inquiétera de la légitimité de reconnaître un droit des individus à partager entre eux des œuvres numériques sans but de profit. Les droits d’auteurs sacrés autant que transférés pour le bien des auteurs aux éditeurs et sociétés de gestion n’interdisent-ils pas que l’on fasse quoi que ce soit d’une œuvre sans que cela ait été autorisé par l’auteur l’industrie ?

Ils pourront même mettre sous vos yeux des chiffres effroyables : à cause du terrible piratage, un pourcentage élevé des accès aux œuvres concerne un contenu qui n’a pas été acheté. Ne perdez pas de temps à leur rappeler qu’il en fut ainsi depuis que le mot culture existe, vous tomberiez dans une controverse historique qui plombe vraiment un dîner.

Mais tout de même il pourra être utile de signaler que la proportion des lectures de livres qui se font – tout à fait légalement – sur un livre non acheté par le lecteur doit être à peu près du même ordre. Il est vrai que le livre n’a pas été encore embastillé chez nous derrière des verrous numériques. Cela vous permettra de leur demander très poliment si vraiment cette perspective est souhaitable. Évitez d’employer des expressions comme droits fondamentaux, culture partagée, citoyens, éducation populaire, cela peut heurter.

3. Tu positiveras la souffrance de l’industrie

La conversation va alors entrer dans le vif du sujet, à savoir que la contribution créative licence globale, c’est pire qu’Attila, non seulement rien ne repousse sur son passage, mais ça défriche même autour. Les trous noirs, à côté, c’est de la gnognotte. Et on additionne les revenus de toutes les industries culturelles pour vous calculer qu’il faudrait payer des dizaines d’euros par mois et par foyer pour compenser ce qui va s’effondrer du fait de l’autorisation du partage non-marchand. Vous pourriez remarquez que vos interlocuteurs, dans de précédents dîners, n’arrêtaient pas de se plaindre de ce qu’ils étaient déjà dévalisés par le terrible piratage, comptant chacun des fichiers circulant sur le Net comme une vente perdue. Est-ce que cela ne relativise pas l’impact de la légalisation du partage, surtout quand on remarque que pour le cinéma, les années de développement du partage ont été celles d’une croissance continue de ses revenus, notamment pour les entrées en salle ?

Arrêtez tout de suite, c’est très impoli de mettre comme cela vos interlocuteurs en contradiction avec eux-mêmes. Et puis il y a la musique qui s’effondre, enfin, pas vraiment les concerts vont très bien, mais la musique enregistrée souffre, enfin elle va beaucoup mieux grâce à l’HADOPI.

Hadopi en sursis

Hadopi en sursis

À la faveur de l'affaire Megaupload, l'opposition entre droits d'auteur et Internet s'est installée au nombre des sujets de ...

Bon d’accord c’est juste celle que les majors vendent sur iTunes et promeuvent sur Deezer et Spotify qui va mieux, mais on ne peut pas tout avoir, lutter contre le partage et favoriser la diversité culturelle. Vous pourriez bien sûr mentionner toutes les études, y compris celle de l’HADOPI (cf. image ci-dessus), qui montrent que les partageurs achètent plus, mais cela se saurait tout de même si quelque chose qui contredit à ce point les dogmes de l’économisme était vrai.

Non, il faut vous en sortir autrement. Le mieux serait de proposer à vos interlocuteurs un pari pas du tout pascalien : on pourrait laisser aux auteurs et artistes ayants droit le soin de choisir entre deux dispositifs, l’un où ils auraient le bénéfice de la contribution créative telle que je l’ai décrite et l’autre où ils auraient le bénéfice d’une compensation des pertes qu’ils auraient subis du fait du partage. Ces pertes seront évaluées par une commission composée des auteurs des 20 études indépendantes qui ont conclu que ces pertes dues au partage sont au grand maximum de l’ordre 20% de la baisse des ventes observée depuis le sommet des ventes en France en 2002. On notera que la période 1999-2002 marque l’apogée du pair à pair musical (Napster/Kazaa).

4. Tu expliqueras la (nouvelle) chronologie des médias

A ce moment votre interlocuteur va sortir l’arme suprême, la chronologie des médias, qui, annoncera-t-il, s’effondrera si on légalise le partage non-marchand alors qu’elle a permis au cinéma français de subsister face au cinéma américain. Manque de pot, ce point n’a pas tout à fait échappé aux concepteurs des propositions de légalisation associée à de nouveaux financements. Ils ont donc encadré précisément ce qu’était le partage non-marchand entre individus et quand il devenait possible de le pratiquer. Le tout de façon à garantir que la chronologie des médias, loin d’être anéantie, soit renforcée par une simplification à laquelle les usagers adhéreront parce qu’ils auront acquis des droits. Expliquez le patiemment à vos interlocuteurs pour le cinéma, il y aura 4 étapes : la projection en salles, la diffusion numérique (VOD, p.ex.) qui ouvrira le droit au partage non-marchand, la diffusion sur les chaînes cryptées puis celle sur les chaînes en clair. Et oui, cela reste intéressant de programmer des films pour une télévision alors qu’ils ont déjà circulés dans le partage non-marchand, pour autant que la chaîne, elle, reste intéressée par le cinéma ce qui est de moins en moins le cas.

5. Tu détailleras le financement des œuvres

C’est le moment de remarquer que votre interlocuteur fait depuis le début comme si les financements de la contribution créative et autre licences pour le partage licence globale ne consistaient qu’en une rémunération des auteurs, alors qu’ils incluent un volet financement de la production de nouvelles œuvres. Demandez-lui par exemple pourquoi il n’a pas informé ses chers cinéastes (et les documentaristes et les producteurs de nouveaux formats vidéos) du milliard d’euros qu’il leur a déjà fait perdre pour de nouveaux projets en refusant obstinément de participer à la mise en place de ces dispositifs.

6. Tu auras battu ses arguments

Et puis, au dessert, vous pourrez enfin parler de l’essentiel, de la création qui se développe sur internet et autour, de la façon dont elle multiplie le nombre des créateurs à tous les niveaux d’engagement, de compétence et de talent. Et qui sait, vous pourrez peut-être tomber d’accord sur l’utilité du partage et des nouveaux modèles de financement dans ce cadre … au moins pour tous les médias dont votre interlocuteur ne s’occupe pas.


Initialement publié sur le blog de Philippe Aigrain, Comm-u/o-ns.

Le titre, les intertitres et les illustrations ont été ajoutés par la rédaction.


Capture d’écran, rapport de la Hadopi
Illustration par The Holy Box/Flickr (CC-bync

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L’innovation bridée par l’abus de contrôle? http://owni.fr/2011/02/17/quelle-criteres-pour-la-possession-didees/ http://owni.fr/2011/02/17/quelle-criteres-pour-la-possession-didees/#comments Thu, 17 Feb 2011 10:36:22 +0000 Framablog http://owni.fr/?p=30366 Richard Stallman est ce que l’on appelle un virtuose du code. Il est un fervent défenseur du logiciel libre et à l’origine du projet GNU. Dans cette video sous-titrée par Framablog, il va au bout de la notion de propriété intellectuelle et démontre comment un compositeur serait bridé si chaque motif rythmique ou mélodique était déposé.

Attention: ceci ne présente aucune solution. It’s just funny! Imagine.


Dans cette courte séquence vidéo, extraite du film Patent Absurdity, que nous vous présentons aujourd’hui sous-titrée par nos soins, Richard Stallman nous alerte par analogie sur les dangers que représentent les brevets appliqués aux logiciels. Et si Beethoven avait été confronté en son temps à un système de brevets sur la musique ?

Cette séquence nous renseigne à double titre.

D’une part, la pertinente démonstration nous fait toucher du doigt les dangers du brevet logiciel dont le principe a été maintes fois repoussé en Europe mais qui menace toujours. Pour en savoir plus sur le sujet, nous ne saurions que trop vous conseiller de lire la synthèse que vient de publier l’April.

D’autre part, pour qui connaît un peu le bonhomme et son histoire (lire à ce sujet le framabook « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée »), on imagine sans peine la frustration qu’un système de brevets logiciels – en vigueur aux États-Unis – peut engendrer. Richard Stallman est un hacker reconnu, c’est-à-dire un virtuose du code, et l’on peut alors parler d’un art de la programmation. Un art qui a eu ses Beethoven et qui souhaite continuer à en avoir encore demain.

Article initialement publié sur : Framablog sous le titre “Breveter des logiciels? Beethoven ne l’aurait pas entendu de cette oreille”.

Crédits photos CC flickr: dunechaser, tomswift

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La gestion collective est-elle obsolète ? http://owni.fr/2011/02/02/la-gestion-collective-est-elle-obsolete/ http://owni.fr/2011/02/02/la-gestion-collective-est-elle-obsolete/#comments Wed, 02 Feb 2011 13:19:59 +0000 Jean-François Bert http://owni.fr/?p=30067 Jean-François Bert est specialiste de la gestion et la perception des droits à l’international, dans un univers numérique. Il est le président de Transparency Rights Management, a dirigé Tokata, à travailler en major et à la Sacem. Il a participé à l’élaboration de nombreux ouvrages et intervient comme formateur pour l’Irma. Sur son blog “musique: la nouvelle donne“, Jeau françois BERT décrypte cette redistribution des cartes.

La transparence des sociétés de gestion collective fait débat, partout en Europe. Depuis quelques mois, les habituelles critiques des ayants droit et des utilisateurs sont désormais relayées avec force par les politiques. Et loin des média, des acteurs puissants oeuvrent pour mettre fin à l’hégémonie de la gestion collective sur les droits d’auteur. Au point que se pose désormais la question, taboue s’il en est au pays de Beaumarchais : « La gestion collective est-elle obsolète ? »

Lorsque les sociétés de gestion collective de droit d’auteur sont apparues en Europe au milieu du XIXe siècle, elles répondaient à une attente forte des créateurs, qui jusqu’alors n’arrivaient pas à faire entendre leur voix auprès des utilisateurs de leurs œuvres (théâtres, cabarets, bals, etc). Ainsi fédérés au sein de sociétés qu’ils contrôlaient, les créateurs renversèrent le rapport de force en leur faveur : là où un utilisateur pouvait ignorer la demande de rémunération d’un individu esseulé, à la situation financière souvent précaire, il devenait impossible d’échapper à une société d’auteur représentant l’intégralité du répertoire national et prompte à faire valoir ses droits devant les tribunaux.

Pour ce qui concerne la musique, dès le début du XXe siècle la cause était entendue : tous les pays industrialisés s’étaient dotés de société de gestion collective (chaque fois en situation monopolistique à l’exception notable des Etats-Unis), qui passèrent entre elles des accords de réciprocité au fil du temps. Le système était ainsi parfaitement verrouillé : chaque société nationale représentant sur son territoire l’ensemble du répertoire mondial, chaque utilisateur se retrouvait face à un seul fournisseur s’il souhaitait utiliser de la musique. Toute concurrence étant bannie, les sociétés d’auteur fixèrent elles-mêmes leurs tarifs, ce qui en France fit croire pendant longtemps aux utilisateurs occasionnels que les droits d’auteur étaient une taxe, et que la Sacem était une administration.

Dès sa création, l’Union Européenne se préoccupa de cette situation de monopole et de ses éventuelles dérives. A la fin des années quatre-vingt dix, les sociétés de gestion collectives durent harmoniser en partie leur tarification sous le coup de décisions de justice européennes (en France, la Sacem dut diviser par deux ses tarifs sur les discothèques).

Le numérique, un vrai choc culturel

En débarquant en Europe, des sociétés hyper dynamiques comme Google (propriétaire de YouTube), Facebook et Apple subirent un vrai choc culturel en se retrouvant face à des sociétés de gestion collectives jugées incompétentes techniquement, déconnectées des réalités en terme de tarif, et arrogantes dans leur volonté de percevoir des droits sur l’ensemble de leurs revenus. Sans parler d’un rapport au temps ontologiquement incompatible.

Percevant les sociétés de gestion collective comme archaïques et représentant un frein au développement de leurs activités, ces sociétés ouvrirent trois fronts : juridique, politique et économique qui se renforcent l’un l’autre. Leur objectif commun : faire sortir les sociétés de gestion collective du jeu numérique.

Sur le front juridique, Google multiplia, avec succès souvent, les procédures judiciaires en Europe et les contentieux avec les sociétés de gestion collectives. Jusqu’à obtenir la reconnaissance du statut d’ « hébergeur», qui permet aux plateformes de ne pas être juridiquement responsables de ce que les internautes postent chez elles, leurs obligations se bornant à enlever avec diligence les contenus illicites signalés par les ayants droit. Aucune obligation donc, de rémunérer les auteurs : victoire en rase campagne.

Magnanime, Google signa néanmoins un accord avec la plupart des sociétés de gestion collective : des études montraient que la guérilla judiciaire avec les sociétés de gestion collective était contre-productive auprès des grands annonceurs et freinait le développement de sa régie publicitaire.

Sur le front politique, Google, Apple, et Facebook, œuvrèrent sans relâche pour une libéralisation du secteur : Maîtrisant parfaitement toutes les technologies de gestion des droits, vivement attiré par ce secteur stratégique, elles se voyaient bien rémunérant en direct les auteurs qui déposent leurs œuvres sur leurs plateformes et leur réseaux sociaux.

Première victoire en 2005, lorsque la Commission Européenne obligea les sociétés d’auteur à se mettre en concurrence afin de pouvoir offrir des licences d’utilisation paneuropéennes. Concrètement, chaque catalogue de musique pouvait désormais choisir de se faire représenter par la société collective de son choix pour le représenter au niveau européen. On le comprend, l’idée de la Commission était d’introduire de la concurrence dans un marché figé, afin de fluidifier l’accès au répertoire pour les sites internet et de faire baisser les coups d’accès à la musique.

Or qu’advint-il ? Universal choisit la Sacem, Emi choisit une joint-venture anglo-allemande créée pour l’occasion, Sony créa une société dédiée avec la société de gestion collective allemande, Warner Chappell fixa un cahier des charges permettant à chaque société de représenter son catalogue, les sociétés de gestion collectives renégocièrent entre elles des accords à géométrie variable, etc… Loin de fluidifier la gestion des droits, la décision de la Commission Européenne la complexifia dramatiquement.

Et Itunes, qui pèse à lui seul 80% du CA du numérique pour la musique, eut alors beau jeu de cesser de payer les droits d’auteur au dernier trimestre 2009 (rien n’a été versé depuis), arguant de recevoir des factures des différentes sociétés de gestion collective pour un montant équivalent à 120% de ce qu’elle devrait normalement payer!

Et nous voilà sur le front économique : comment justifier une gestion collective sur le numérique qui est incapable de percevoir, et donc de répartir ? Comment les sociétés de gestion collectives européennes vont-elles expliquer à leurs adhérents qu’elles leur ont reversé en 2010 moins de droits numériques qu’en 2009, alors que l’utilisation légale de la musique sur le net n’a jamais été aussi forte ? Comment expliquer à une major que le digital représente 20% des revenus de sa maison de disque, qui gère ses droits en direct, alors qu’il ne représente guère plus de 1% des revenus de sa filiale éditoriale, qui reçoit ses droits des sociétés de gestion collective ?

Gestion collective intouchable?

Tout commença en avril, où la Cours des comptes rendit un rapport très critique sur la transparence des sociétés de gestion collective.
Ce fut ensuite début novembre, au Forum d’Avignon, Neelie Kroes, Vice-Présidente de la Commission Européenne, responsable de la stratégie numérique de l’UE, qui s’en prit à « la transparence et à la gouvernance des sociétés de gestion collectives » et à un système de gestion des droits d’auteur qui « a finit par donner un rôle plus important aux intermédiaires qu’aux artistes ». On ne pouvait être plus clair.

Fin novembre, c’est la révélation de la rémunération de Bernard Miyet (600 000 euros annuel), qui créa une forte polémique en France.

Fin décembre, Frédéric Mitterand , répondant aux questions d’un parlementaire à l’Assemblée Nationale, stigmatisa à son tour la rémunération du Président du Directoire de la Sacem, mais aussi le manque de transparence de la gestion de la Sacem et le montant trop élevé de certains tarifs qualifiés d’ « opaques et confiscatoires ». Et comme cadeau de Noël à Monsieur Miyet, il annonça confier à ses services une mission d’inspection sur le fonctionnement de la Sacem.

Au Midem, Michel Barnier, Commissaire Européen en charge du marché intérieur et des services, et présenté par tous comme un défenseur des droits d’auteur, fut pourtant catégorique : « Nous voulons une gestion collective plus fluide et plus simple, au bénéfice des citoyens, des créateurs et des services innovants. Nous voulons plus de transparence dans les relations avec les utilisateurs et les ayants droit ». Et d’annoncer que la modernisation de la gestion collective serait imposée par la loi, et ce, dès 2011 !

Si la modernisation de la gestion collective ressemble à celle du marché des télécoms, de l’énergie et des jeux en ligne, on peut s’attendre à une libéralisation totale ou partielle du secteur, avec la possibilité pour les auteurs de gérer en direct leurs droits sur le net, ou par l’intermédiaire d’acteurs privés qui ne soient pas des sociétés de gestion collective.

Google, Apple, FaceBook auront alors gagné, et pourront commercialiser leurs offres interactives de gestion de droits sans aucun intermédiaire entre l’utilisateur et l’ayant droit. Il suffira de se connecter pour voir en direct où son œuvre est exploitée, et voir son compte crédité au fur et à mesure. Est-ce que ce genre de service intéressera les ayants droit ? Il y a fort à parier qu’en quelques années, la gestion collective sera reléguée à ce qui n’est pas (encore) numérique.

Mais la plupart des sociétés de gestion collectives ne croient pas à ce scénario de libéralisation. Les différents responsables que j’ai pu croiser au Midem reconnaissent que, certes, certaines sociétés d’auteurs sont mal gérées, mais que la leur est performante (évidemment), qu’ils n’ont donc rien à redouter des exigences de transparence d’une Commission Européenne qui se retrouve à gérer une situation qu’elle a elle-même créée. Pour eux, libéraliser un tel secteur reviendrait à jouer aux « apprentis sorciers » et n’est tout simplement pas envisageable.

Il est donc probable que les sociétés de gestion collectives européennes n’entreprennent rien pour se réformer d’elles-mêmes. Elles pensent qu’elles sont intouchables car elles détiennent un trésor : les bases de données des œuvres. Or, la technologie a changé la donne, et aujourd’hui la complexité n’est pas de faire une base de donnée des œuvres, mais bien de savoir où et quand l’œuvre est utilisée dans un univers digital où la consommation est nomade, multiple et non linéaire.

Dans la gestion des droits d’auteur comme ailleurs, l’information, c’est le pouvoir. Aujourd’hui, le pouvoir n’est plus détenu par celui qui connaît les œuvres, mais par celui qui connaît leur utilisation. Le changement de paradigme est total. La seule défense des sociétés de gestion collective était la loi, or celle-ci va changer dans quelques mois. Les sociétés de gestion collective européennes ont-elles pris la mesure de ce qui est à l’œuvre ?

Au Midem, un responsable d’une société de gestion collective m’a confié dans un sourire sa « petite perle de sagesse » avant de reprendre l’avion :

Si nous n’entreprenons pas maintenant des changements radicaux, dans 5 ans, la gestion collective n’existera plus dans l’univers numérique.

Il n’était pas européen.

Article initialement publié sur le blog de Jean-François BERT

Crédit photos CC flickr: keso; imagigraphe, jonnygoldstein, splorp

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A qui est ce tube? http://owni.fr/2010/12/30/a-qui-est-ce-tube/ http://owni.fr/2010/12/30/a-qui-est-ce-tube/#comments Thu, 30 Dec 2010 12:16:12 +0000 Francis Gosselin http://owni.fr/?p=29193 Une réflexion sur la création d’oeuvres et l’appropriation systématique de celles-ci par leurs “créateurs”. Ici, l’auteur critique la propriété intellectuelle et justifie sa position en rappelant les base du processus de création. Ça n’est pas tant pour la véracité de cette réflexion que nous publions ce texte aujourd’hui que pour sa nature interrogatrice. Alors que tout est bouleversé, toutes les notions qu’entourent le monde de la musique sont revisitées. La philosophie ayant toujours été le fondement de tout aboutissement, voici un texte de Francis Gosselin.

“Non qu’il refusât la gloire, mais celle-ci signifiait alors autre chose; j’imagine que le public auquel il s’intéressait, qu’il désirait séduire, n’était pas la masse d’inconnus que convoite l’écrivain d’aujourd’hui, mais la petite compagnie de ceux qu’il pouvait personnellement connaître et estimer.” – Milan Kundera, La Lenteur (Gallimard, 1995)

La gloire liée à l’attribution objective et nominative d’une propriété artistique promeut-elle la créativité lorsqu’elle livre aux regards de ses scrutateurs les créateurs-propriétaires qui s’érigent dès lors en idoles millionnaires ? N’y a-t-il pas de vertu à écrire des articles sans les signer, à les signer d’un faux nom, à les attribuer à d’autres, personnages fictifs ou réels ? Et si l’idée propriétaire était un piège, le trou noir social des idées nouvelles?

Il fût un temps où écrire était pénible. Enfin, écrire est toujours pénible, mais maintenant, les gamins de seize ans tapent 60 mots minute et produisent, eux aussi, des contenus en volume. Des volumes de contenus.

Ils crowdsourcent, ou plutôt, sont crowdsourcés. À défaut d’être embauchés par des multinationales bureaucratisées, ils créent pour le plaisir, et l’acte de créer a pour eux une valeur en soi. L’auditoire est précis, la plupart du temps limité. Dans cet univers, l’auteur préserve une certaine rareté, voire une rareté certaine. Le monde n’est pas plat. Un chemin est parcouru, au sein duquel beaucoup de choses sont créées et circulent : on ignore la plupart du temps d’où elles viennent, où elles vont.

À qui appartient l’idée ? Qui la protège donc ? Le cas échéant, dans quel but ? Si cette appropriation dirigeait vers l’auteur les regards critiques et les commentaires normatifs ayant valeur de propositions constructives, ne l’enfermerait-on pas dès lors dans une danse qui requerrait la cohérence rationnelle, interdisant l’exploration ?

En fait, la propriété de l’art a ceci d’étrange qu’en élevant le créateur au rang de mythe, elle dénature l’oeuvre, et réduit le processus de création à un simple acte de production. Regarder l’avenir – comme l’atome, ou l’artiste – le change. L’artiste propriétaire est un entrepreneur capitaliste qui crée, puis exploite à l’infini les droits sur sa création : un droit de monopole qui en fait un rentier oisif. S’il réussit, il se retrouve au centre d’une machine qui articule pour lui la production et la distribution de son travail.

La machine construit le sens social autour de l’oeuvre : on le regarde travailler, on décrit ce travail. La machine referme le monde sur l’artiste et l’artiste sur le monde. Devenu riche et célèbre de son vivant, il perd en quelque sorte le statut d’artiste, car la divergence lui est interdite. Le mythe de l’artiste pauvre repose sur ce constat, que rémunération et gloire affectent négativement la création : ils l’encadrent et incitent à la mimésis, détruisent la contestation normative. Ils font du créateur un prosélyte de sa propre contemporanéité.

Un être bassement politique. I am what I am, écrit Reebok. Produire pour la masse informe et anonyme – celle qui est car elle est – est bien garante de production, mais non de culture. La culture de masse, Adorno l’a bien montré, est la fin de la culture.

On clame pourtant que gloire, célébrité et richesse sont nécessaires. Pour justifier la machine symbolique du déclamateur de masse, on soutien qu’en leur absence, le monde n’aurait engendré ni le feu, ni la roue, ni Kundera ni aucun autre. Par ce discours, l’auditoire, bien que toujours présent à l’esprit du créateur, devient la finalité. Il faut vendre. À quiconque.

Mais pourquoi faut-il donc que la masse des inconnus aime ainsi a priori ? Pourquoi niveler, plutôt qu’élever une oeuvre à un stade requérant un effort d’interprétation ? N’est-ce pas justement cette obsession de la gloire et de la célébrité qui a rendu le cirque politique absolument abscons, méprisé par tous et par toutes, même par ceux qu’y s’y prêtent ? Et si on acceptait que certaines créations n’appartiennent qu’à quelques destinataires choisis ?

La forme nécessaire de la durée, contre la plastique propriété

Le soin de partager les mots, les sons et les images devrait nous servir de guide, de leitmotiv incontestable. Nous héritons d’un riche héritage artistique et culturel que nous rendons, par notre travail de transformation, disponible aux autres. C’est ainsi que s’érige la valeur politique de l’art, par la reformulation toujours en cours, jamais complète, des mêmes mythes fondateurs qui nous appartiennent à tous.

A contrario, le culte de la vitesse et de l’aplatissement du monde, qui autorise les plus absurdes excentricités artistiques (de Damien Hirst à Lady Gaga), n’ont d’effets politiques qu’a posteriori. Ils captivent par le spectaculaire-plastique et construisent des discours qui servent de justification ex post à des actes esthétiquement planifiés mais politiquement insignifiants.

Comme ils s’adressent à tous, ils ne s’adressent à personne. Leur existence, insipide et peu amène à une société des philosophes, n’est rendue possible que par l’acceptation lascive d’un système illégitime de propriété des idées. Illégitime tant dans ses fondements que dans les effets, inégalitaires et injustes (surtout sur le plan artistique) qu’il engendre. Les idoles monopolistiques surfent sur du vent, à grands renforts de monopoles construits pour “encourager les créateurs”, alors qu’il est convenu qu’ils ne créent rien, mais empruntent tout.

Ils s’abreuvent à même la sédimentation des lieux communs qu’ils recrachent à grands renforts de médias, instrumentalisation des rentes du monopole pour justifier le monopole. Ils reproduisent le contenu et le contenant : ils ne créent rien, ils reproduisent. Ils n’existent que pour la masse informe, cible politique du marché des symboles. Ils n’ont ni destinataire, ni destination.

La propriété intellectuelle des oeuvres artistiques fait en sorte que ceux qui réussissent à encercler les mythes fondateurs en se les appropriant réussissent de facto à imposer les produits de cette appropriation comme seuls légitimes. Ils sont encouragés par le cirque politique. La pénalisation du prétendu “pirate” ne fait qu’affirmer le monopole symbolique de ces monopoles culturels.

Cette démarche exclut l’activation d’un levier majeur de l’exception culturelle – le jugement ! – et réduit le débat à un non lieu juridique. Chemin faisant, on désigne la célébrité – “la voilà”, dit-on – en regardant la machine productrice de symboles, ce qui mène à conclure que, puisque la machine tourne, il y a forcément création. On jette le bébé. Puis l’eau du bain. On ne garde finalement rien de bon. En remettant à plat les droits de détention et d’exploitation de l’oeuvre, le cirque politique refuse d’agir subjectivement et d’interjeter en faveur du Beau, aux dépens des représentations plastiques qui aveuglent. Comme si toute création était égale…

Enfin, l’acte de création ne se satisfait que très rarement de produits finis, plastiques et emballés. En témoignent les multiples élaborations intermédiaires des architectes, pour qui sketches et maquettes constituent l’essence du travail, un work in progress, vers un but jamais atteint, ou enfin, toujours imparfaitement. Car l’oeuvre de l’auteur, comme celle de l’artiste, n’est jamais qu’un ensemble difforme de productions, une oeuvre totale à laquelle chacune des parties n’est finalement qu’une contribution infime.

Ce n’est pas là où on prends les idées, qui compte, mais enfin là où on les amène, disait Godard.

Facile, diront certains, l’architecture est l’une des disciplines où création et attribution participent d’un même mouvement. Pourtant, même (et surtout) en architecture, ce sont l’ensemble des ébauches et des articulations intermédiaires de l’oeuvre qui constituent le creuset de la création véritable. L’oeuvre architecturale, une fois construite, “n’appartient” plus au créateur.

Ainsi, l’impossible perfection du “ça” et du “là” que tentent de mettre en scène et de protéger les chorégraphes de la pop-culture, n’est finalement qu’un leurre adolescent qui, à force d’expériences infructueuses, se solde par la mise en garde de Frank Gehry sur cette immaturité créatrice : “there is no there” ; il n’existe pas de chose telle qu’un produit culturel fini. Les sketches, comme les maquettes de l’architecte, sont parfois volontairement déconstruites. Car la richesse esthétique de l’acte créatif repose, justement, dans la nature essentiellement incomplète de toute oeuvre.

Ainsi, le monde des arts, comme l’ensemble des activités de remise en scène des mythes fondateurs (ce que nous nommons, par convention, création), ne sont en fait que des étapes d’un lent processus d’accumulation et d’expérimentation des formes, des sons et des couleurs du monde.

On se surprend même que, sur un tel chemin, certains soient parvenus à faire reconnaître une propriété quelconque sur un tronçon unique, sans alternatives, et sans égard au chemin parcouru. Ils s’approprient ainsi, et étrangement, une part significative de l’incomplétude du monde. Ils posent sans humilité leurs noms en grandes lettres sur le mur de l’Histoire. Ils altèrent les possibles, obligeant un retour aux sources, sources à partir desquelles peut-être d’autres rivières formeront leurs lits. Nous creusons des digues. En attendant.

Remerciements à Jules Lacoste et Jean-Jacques Stréliski, ces êtres chers qui m’inspirent, au même titre, sinon davantage, que ce très cher Kundera, que j’admirerai éternellement. Encore que sans Denis Roy, Émilie Pawlak et Pierre-Antoine Lafon, cet article eût été impossible.

Artiicle initialement publié sur: Mosaic

Crédits photos CC flickr: http: Akmar Simonse; zigazou76; Alessandro Pinna

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[Docu Video] Remix Manifesto : L’artiste vaut plus qu’un © http://owni.fr/2010/11/12/lartiste-vaut-plus-quun-copyright/ http://owni.fr/2010/11/12/lartiste-vaut-plus-quun-copyright/#comments Fri, 12 Nov 2010 10:50:03 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=27868 RIP : Remix Manifesto est un documentaire réalisé par Brett Gaylor avec la collaboration de personnalités tel Lawrence Lessig, Gilberto Gil, Girl Talk… nous vous le recommandons chaudement.

La musique, écrite et composée par des artistes dans le but  de s’exprimer, de partager un sentiment, un message, une sensation, a été recouverte par une notion ambiguë qui porte le nom de  copyright pour les anglo-saxons mais qui plus généralement, la notion de propriété intellectuelle. Inventé pour protéger les fruits de la pensée, le concept a rapidement été mobilisé par des commerciaux pour légitimer des pratiques libérales et embrigader les créateurs.

Qu’est ce que la création d’abord? Nous, êtres humains, nous inspirons tous les jours de ce qui nous entoure pour remixer, compiler des bribes de vie et en faire de nouvelles créations.

Musicalement parlant, les combinaisons harmoniques sont infinies, certes. Pourtant les mêmes accords sont toujours utilisés. Douze notes remixées encore et encore.

En cherchant bien, une création originale n’existe pas. La seule authenticité qui existe sont des éléments déjà existants ré-agencés de manière plus ou moins subtile.

La position de l’artiste devient alors délicate, en effet, il a besoin de vivre, de se loger, de se nourrir, pour pouvoir créer. Mais de l’autre côté, il a besoin de créer pour se sentir vivre. Les créateurs sont souvent enchantés de voir leurs œuvres appréciées, utilisées et partagées et ce, même à titre gratuit. Il est très important pour beaucoup d’artistes de devenir source d’inspiration et de “nouvelles créations” et c’est en ce sens qu’ils ont abandonné, à tort ou à raison la gestion de leurs droits à des professionnels du “Money Making”.

Le sujet fait débat depuis un moment mais Internet a remis la question de savoir si la notion de propriété intellectuelle sert ou dessert nos cultures sur le devant de la scène.

Depuis le procès historique de Napster, de nouvelles conceptions ont émergé pour rendre la notion de copyright plus équitable. L’interdiction de diffusion que subissent certaines œuvres dessert souvent la notoriété d’un artiste. Pour aller encore plus loin, la culture accessible à tous est une notion éthique importante que personne ne peut négliger. Brett Gaylor montre, dans la vidéo qui suit, comment le copyright peut ne pas rendre service à la diffusion efficace de notre culture.

Ce débat est complexe et délicat. Je prends moi-même un certain plaisir à l’animer et le provoquer mais je ne pourrais certainement pas me vanter d’en maîtriser tous les aspects. Quoiqu’il en soit, cette remise en question a pour avantage de nous obliger à nous instruire avant de pouvoir en parler et cette petite bombe de documentaire comporte beaucoup d’informations indispensables à l’évocation du sujet.

Money money mais à quel prix!

Bon voyage:

Cette vidéo a été découverte par le site sound-vibz

Crédits photos CC flickr: e-magic; TangYauHoong

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Droit d’auteur: le boulet de l’industrie musicale ? http://owni.fr/2010/10/27/droit-dauteur-le-boulet-de-lindustrie-musicale/ http://owni.fr/2010/10/27/droit-dauteur-le-boulet-de-lindustrie-musicale/#comments Wed, 27 Oct 2010 15:50:28 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=27380 Note de l’auteur: il est judicieux de justifier le choix du terme de droit d’auteur. Cet article n’est pas une traduction mais une adaptation. En effet, ayant conscience que le copyright diffère sur certains points de notre droit d’auteur français, nous avons opté pour l’adaptation plutôt qu’une traduction qui n’aurait été d’aucun intérêt pour nos lecteurs. Nous avons constaté en lisant l’article original sur Hypebot que les remarques effectuées par les intervenants étaient applicables et pertinentes tant pour le copyright que pour le droit d’auteur et nous aurions trouvé dommage de ne pouvoir apprendre des expériences anglo-saxonnes malgré les différences qu’il existe entre nos systèmes respectifs.

***

Depuis le début de la “crise” de l’industrie musicale, le droit d’auteur, notion complexe, subit les assauts des pirates et autres trublions qui cherchent à trouver d’autres modèles à l’heure du renouvellement qu’impose Internet. Dans un article paru sur Hypebot, Charlotta Hedman (@fjoms), essaye de faire le point sur la situation actuelle. Pour ce faire, elle a mis en place un dispositif original: la même question, posée à un panel d’experts:

Que devrait faire l’industrie de la musique du droit d’auteur? (What should the music industry do about Copyright?)

Nous vous proposons ici un condensé de son travail.

Richard Stallman: “Pour le bien de la musique, supprimons les majors!”

Le fondateur du Free Software Mouvement estime que les majors de l’industrie musicale ont mis en péril notre liberté en militant pour des lois répressives.

Elles créent en plus de la musique dont le succès dépend pour une large part de l’investissement initial. Cette manœuvre, qui consiste à créer de la superstar, contribue à agrandir les inégalités existantes dans le milieu. Il serait donc grand temps, selon R. Stallman et pour le bien de la musique, d’éradiquer ces puissantes machines.

Les solutions pour les artistes? Une forme de licence globale par et le “direct to fan” généralisé.

Eric Mackay, CELAS : une collaboration plus forte entre industrie musicale et secteur technologique

Pour Eric Mackay, c’est plutôt la question de la relation du consommateur aux droit d’auteur qu’il faudrait poser. La musique ayant perdu de sa valeur aux oreilles des consommateurs, les ayants-droit ne peuvent s’adapter du jour au lendemain.

Selon lui, les créatifs ne devraient pas chercher à monétiser la musique en elle-même mais la relation émotionnelle qu’elle créée.

Les ayants-droit ne peuvent s’adapter à la gratuité, il leur faut donc trouver d’autres voies de sortie. Partant de cette constatation, E. Mackay considère la frustration des auditeurs comme tout à fait compréhensible. Il rappelle cependant le fait qu’il est beaucoup plus évident d’obtenir une autorisation pour diffuser de la musique que cela ne l’est pour un film. Ce qui est certain, c’est qu’aucun utilisateur n’a jamais rechigné à payer le droit d’avoir un accès Internet mais la musique qui s’y trouve semble être négociable.

Le point essentiel pour E. Mackay réside dans la collaboration entre les secteurs technologiques et l’industrie musicale.

Il soutient que les innovations technologiques ne seront jamais à la hauteur des espérances des utilisateurs sans l’expertise du secteur concerné.

Helienne Lindvall: l’adaptation du droit aux usages

Journaliste, musicienne et compositrice, H. Lindvall pense que la difficulté provient du nombre d’usages auxquels le droit d’auteur se doit de s’adapter. Il est urgent pour les détenteurs de droits d’instaurer une solution plus simple et plus pratique pour faire valoir leurs droits. Les sociétés de gestion de droits ont commencé à mettre en place des systèmes de licence adaptés aux nouvelles technologies mais cette mise en place est bien trop tardive, lente et inefficace. Selon  H. Lindvall, les institutions responsables n’ont pas pris conscience de l’urgence de la situation.

Grant Murgatroyd: “La musique n’est qu’un détail”

G. Murgatroyd affirme que la musique n’est qu’un détail. Normal, pour un journaliste financier. La propriété intellectuelle ne représenterait que 20% de leur raison d’acheter et de ce que les fournisseurs sont prêts à investir. Selon G. Murgatroyd, le succès dépend du consommateur, le contenu, les productions et leur exécution n’intervenant que sur un second plan.

Jeremy Silver: une licence globale aidée par le numérique

Le président de la Featured Artists Coalition connaît son sujet et précise d’emblée que le droit d’auteur recouvre plusieurs réalités : droit de reproduction, droit de paternité, droit patrimoniaux (rémunération) et finalement le droit moral. Le fait de contrôler totalement la reproduction d’une œuvre est selon lui impossible à l’heure d’internet. Nous pouvons éventuellement ralentir la reproduction mais certainement pas l’éradiquer. Ceci dit, heureusement, la notion de paternité n’est pas remise en cause. Ce qui l’est en revanche est le droit patrimonial, et  le problème majeur est celui de la rémunération, le droit d’auteur n’étant certainement pas remis en cause.

Pour résoudre ce problème récurrent, J.Silver prône l’instauration d’une licence globale appuyée par le numérique:

Puisque de nouveau systèmes numériques intelligents permettent d’analyser quels contenus transitent par eux et où ils sont ensuite consommés ou utilisés, ces mêmes données pourraient servir à assurer la répartitions des revenus.

Scott Cohen: la publicité nous sauvera

S. Cohen lui, dénonce une grossière confusion faite entre la gestion de droit d’auteur et la protection de celui-ci. La protection des œuvres est une stratégie vouée à l’échec. Elle représente une réelle barrière à la rémunération. Plus personne ne demande d’où vient la musique qu’on découvre via Youtube. Pour le co-fondateur de la société de marketing et de distribution The Orchad :

Les revenus générés par la publicité indemniseront les propriétaires.

Michael Breidenbruecker: simplifier le droit d’auteur

Co-fondateur de Last.fm et PDG de RjDj, M. Breidenbruecker rejoint H.Lindvall et soutient que les acteurs de l’industrie doivent simplifier la façon de licencier les travaux. Le système actuel empêche toute forme d’innovation de se développer. Rien à voir avec le fait que le droit d’auteur soit bon ou mauvais. Tout le monde s’accorde sur le fait que les créateurs doivent être rémunérés.

Synthèse :

- concernant la reproduction à usage privé, la reconnaissance des CC (Creative Commons) règlerait le problème de l’illégalité (ridicule) de cette pratique.

- les secteurs techno et musique doivent travailler main dans la main pour offrir aux consommateurs une expérience unique et valorisable.

- utiliser les données du réseau pour rémunérer les artistes semble être une des solutions les plus adaptées pour une rémunération équitable. Cela passe néanmoins par une véritable volonté politique d’instaurer une licence globale.

- concernant l’efficacité des dons spontanés des auditeurs, évoqués par S. Stallman, tout reste à prouver.

- accélérer la mise en place de systèmes de création de licence est une priorité.

Cet article est inspiré du travail de Charlotta Hedman paru sur Hypebot.com

Crédits photos CC Flickr: Andyadontstop; Jfgornet; caribb

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http://owni.fr/2010/10/27/droit-dauteur-le-boulet-de-lindustrie-musicale/feed/ 5
SACEM / YouTube : accord imparfait http://owni.fr/2010/10/06/sacem-youtube-accord-imparfait/ http://owni.fr/2010/10/06/sacem-youtube-accord-imparfait/#comments Wed, 06 Oct 2010 14:33:21 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=26890 Après plus de trois ans de négociations, la Sacem et YouTube ont conclu un accord rendu public le 30 septembre 2010.

Selon l’article du Monde [1], ce contrat couvre la diffusion en ligne par YouTube du répertoire musical géré par la Sacem et la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2012. Si l’on ne dispose pas de tous les détails de l’accord, le montant versé par YouTube serait calculé en fonction de la part de marché de YouTube et des montants versés par ses concurrents  pour la période 2006-2010, puis en fonction du nombre de vidéos visionnées par jour et des types de formats publicitaires associés pour la période 2011-1012.

Si la négociation a achoppé si longtemps entre la Sacem et YouTube, c’est parce que la Sacem tenait à appliquer la règle qui, en droit français, veut qu’une rémunération proportionnelle à l’exploitation de l’œuvre soit versée aux auteurs. Selon l’article L 131-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), en effet, on ne peut envisager un paiement forfaitaire que lorsque la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée, lorsque les moyens d’en contrôler l’application font défaut ou lorsque l’utilisation de l’œuvre ne présente qu’un caractère accessoire par rapport à l’objet exploité.

Fourniture des données statistiques de visualisation

Pour répondre au souci de rémunérer chaque auteur en fonction des usages réels de leurs œuvres, la Sacem a donc obtenu de YouTube un engagement à fournir les données statistiques de visualisation à compter de l’année 2011.

Il était effectivement intéressant de souligner que, contrairement à Viacom, aux États-Unis, la Sacem n’a jamais exigé que l’on retire de la plate-forme les œuvres qu’elle gère, mais qu’elle entend favoriser une exposition maximale  de son répertoire pour rémunérer au mieux ses auteurs [1].

On notera aussi avec intérêt que YouTube avait déjà négocié, souvent avec difficultés, avec les homologues de la Sacem au Royaume-Uni et en Allemagne. Et l’on ajoutera que la Sacem avait déjà négocié avec deux sites français –  Dailymotion, en octobre 2008 et  WatTV – et qu’elle peut s’attaquer maintenant à MySpace et Facebook. De son côté, YouTube a signé aujourd’hui avec huit sociétés d’auteurs dans le monde. Cet accord ne couvrant que la musique, YouTube doit négocier à présent, en France, avec la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (Sacd) et la Société civile des auteurs multimédias (Scam), pour que les vidéos soient totalement couvertes.

Il faut encore demander l’autorisation des producteurs, voire celle des artistes-interprètes

Moins satisfaisante sans doute sera cette dernière remarque soulignant que l’accord a été établi avec la Sacem, société de gestion collective qui représente les paroliers, les compositeurs et les éditeurs de musique. La Sacem ne représentant ni les producteurs ni les artistes-interprètes, il convient toujours, lorsque l’on entend utiliser des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur et les mettre en ligne sur YouTube ou d’autres plates-formes ayant négocié avec la Sacem, obtenir l’autorisation des producteurs, voire celle des artistes-interprètes si les producteurs ne disposent pas de leurs droits. En outre, n’oublions pas qu’il faut toujours disposer des droits des auteurs, via la Sacem ou par d’autres voies si les auteurs ne sont pas membre de cette société, pour diffuser cette œuvre musicale sur d’autres supports (un blog, un intranet, un site internet, ..). Doit-on ajouter que l’accord via Dailymotion ou YouTube n’autorise qu’un usage privé et personnel, ce qui rend impossible tout usage collectif, par exemple dans une entreprise ou une bibliothèque ?

Références

1. Un accord entre la Sacem et YouTube garantit la rémunération des auteurs, Véronique Mortaigne, Le Monde, 30 septembre 2010

2. La Sacem annonce un accord rétroactif avec YouTube, Guillaume Champeau, Numérama, 30 septembre 2010

3. YouTube et les artistes français : Sacem à la folie,  Alexandre Hervaud, Ecrans 30 septembre 2010

4. Accord Sacem-YouTube, avancée pour le droit d’auteur sur internet, AFP, Le Point, 30 septembre 2010

5. YouTube et la Sacem signent un accord de diffusion et de rémunération, Christophe Auffray, ZDNet, 30 septembre 2010

Billet initialement publié sur Paralipomènes

Image CC Flickr jk5854

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Artwork: vous n’avez pas tous les droits http://owni.fr/2010/08/24/de-importance-de-artwork-et-ses-impacts-a-echelle-mondiale/ http://owni.fr/2010/08/24/de-importance-de-artwork-et-ses-impacts-a-echelle-mondiale/#comments Tue, 24 Aug 2010 15:20:01 +0000 Martin Frascogna http://owni.fr/?p=26029 Martin Frascogna est un auteur et blogueur américain spécialisé dans les questions relative à l’industrie du disque et aux implications juridiques de celles-ci. Retrouvez-le sur frascognamusic.com, et sur Twitter.


La polémique autour de Contra, le dernier album de Vampire Weekend, a lancé un large débat au sein de l’industrie musicale.


[NDT: Le second album des New-Yorkais, sorti en janvier dernier, fait en effet l’objet d’une plainte de la part de Kirsten Kennis, qui n’est autre que la jeune femme figurant sur la pochette du disque. Datant de 1983, la photo du mannequin aurait été utilisée sans son autorisation. Kennis demande aujourd’hui deux millions de dollars au titre de dommages et intérêts au titre de l'utilisation de son image sans autorisation. Si le groupe reste quasi-muet sur l’affaire, il s’est fendu d’un communiqué laconique stipulant qu’il s’est acquitté d’un droit de licence auprès de la plaignante, les autorisant à utiliser l’image incriminée]

Alors que les médias sont déjà passés à autre chose, l’industrie, elle, continue à analyser cette situation rocambolesque avec une attention particulière. Les subtilités juridiques de cette histoire ont en effet de quoi désarçonner le plus compétent des avocats. Maintenant que les juristes sont de la partie, il semblerait que la seule manière de dénouer le problème soit un procès. Le musicien lambda se dit sûrement que ce n’est pas si grave pour Vampire Weekend et leur label: ils croulent sous les dollars, non ?! Au contraire, les jeunes groupes devraient faire attention à ce problème qui met en lumière une question depuis trop longtemps négligée :

Quelle est la valeur d’une pochette de disque et qui en a le contrôle ? Et plus largement, quelles sont les implications liées à l’artwork des albums au niveau mondial ?

Il existe un vrai malentendu autour des photos d’albums et/ou du design de ceux-ci. Le fait d’embaucher un photographe, un graphiste ou un directeur artistique pour élaborer le design d’un album ne signifie pas forcément que ce dernier vous appartient. Tom Beck, un photographe, vétéran dans le monde de la musique mais aussi grand amateur de groupes indépendants nous donne son avis sur la question, de l’autre côté de la barrière :

En tant que groupe, vous devez d’abord obtenir les accords de licence liés à l’image. Même si vous faites appel à un photographe, le copyright de la photo lui appartient et il vous revient de régler le droit d’utiliser la photo en plus de le payer pour son travail. De ces accords de licence peut en plus découler une autorisation spéciale du modèle pour utiliser son image. De quoi s’agit-il ? Elle stipule qu’une personne reconnaissable sur une photo donne de fait son autorisation pour qu’elle soit utilisée. Puisque plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans ce contrat (notamment sur quels territoires et pendant combien de temps la photo peut être utilisée), il faut vous assurer que le photographe dispose de ces informations et que celles-ci sont fiables

Dans une industrie qui adopte les codes des indés, on a tendance à oublier que le principe de propriété intellectuelle (et ce qu’il implique) va bien au-delà de la musique.

L’affaire Vampire Weekend a rappelé aux photographes l’importance du copyright liant la musique et la photo. Et ce à juste titre, puisque leur implication dans le domaine créatif est considérable.

Au début d’un projet, les musiciens disposent d’un budget limité et l’acquisition des droits liés aux visuels du disque a toujours été un élément incontournable. Ce n’est pas facile de justifier une dépense de 20 000 ($) pour l’enregistrement de l’album puis d’acheter les droits pour les visuels du disque pour 5000 ($) de plus, après avoir payé le photographe 2000 ($) pour son travail. Les artistes doivent pourtant maîtriser cet élément. Les musiciens sont une “marque” à part entière, et il est nécessaire de maîtriser tous les aspects liés à celle-ci.

De même que vous n’hésiteriez pas à vous battre contre votre maison de disques pour conserver les droits de vos masters, vous devez garder le contrôle de tous les aspects créatifs de votre carrière (marques déposées, droits sur les photos et la musique etc…).

Au bout du compte, il s’agit de savoir qui contrôle la “marque” et celui qui détient l’ensemble des droits liés aux contenus créatifs détient le porte-monnaie.

Lorsque vous négociez les droits d’utilisation de ces contenus, prêtez une attention particulière aux conditions d’utilisation (c’est d’ailleurs là que votre avocat intervient). Lorsqu’un groupe obtient le droit d’utiliser les visuels d’un album pour une somme donnée, quelle en est la dimension géographique ? Est-ce pour l’Europe ? Pour l’Amérique du Nord ? Amérique du Sud etc… ?

Un photographe ou un graphiste peut accorder la permission d’utiliser l’artwork d’un album aux États-Unis pour disons 500$, mais dès lors que l’album sort en Italie, au Royaume-Uni, en Grèce, en Pologne ou sur tout autre territoire, il y a violation du contrat et vous vous exposez de fait à des poursuites. C’est donc une erreur à éviter à tout prix.

Certes, c’est délicat, mais ne voyez pas tout l’aspect visuel de votre album comme un gouffre financier inutile. Il représente qui vous êtes, donne une première impression, peut déclencher l’intérêt et surtout donne une idée de ce qui se trouve à l’intérieur du boitier. C’est donc un élément à prendre au sérieux et pour lequel cela vaut la peine d’investir.

Vous ne croyez pas que Vampire Weekend ou leur label aimeraient pouvoir revenir sur tout ça plutôt que de se faire traîner devant les tribunaux pour 2 millions de dollars ? Prenez vos responsabilités, investissez en conséquence et gardez le contrôle de votre marque.

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Article initialement publié sur Music Globalization

Photos CC flickr starbright31, flydown

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